Chapitre Sept

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Le hall d'entrée est à l'image du château : vaste, majestueux, sobre et glacé. C'est une immense salle dallée de marbre, dépourvue de mobilier et de toute décoration superflue, si l'on excepte quelques inquiétantes statues incrustées dans les murs.

Les pas de la princesse résonnent sur le dallage tandis qu'elle s'approche d'un homme en costume noir se tenant dressé comme un 'i' à l'autre bout de la salle, entouré par deux gardes entièrement recouverts d'une armure, noire également. Derrière elle suit Madame Kalisse, elle-même suivie par Anaïs qui contemple ce décor sinistre avec un pincement au coeur, regrettant déjà la décision qu'elle a prise peut-être un peu précipitamment et se disant que sa mère a eu bien raison de la traiter d'imbécile. Priscille quant à elle n'a d'yeux que pour l'homme qui lui fait face. À mesure qu'elle s'approche, un étrange sentiment de familiarité se précise. Il est plus jeune qu'elle l'avait imaginé et surtout, bien plus séduisant. Elle s'était figuré une espèce de vieux rapace à l'oeil torve ; au lieu de cela c'est un homme dans la force de l'âge aux cheveux bruns et à la belle prestance qui l'attend. Mais ce qui la trouble le plus, c'est la ressemblance frappante avec son père. Il ressemble trait pour trait aux peintures de l'ancien roi qui ornent le château de Mornglass. Une telle ressemblante est étonnante sachant que les deux hommes ne sont que demi-frères, le grand-père de Priscille ayant eu plusieurs épouses et une vie très mouvementée. Une chose les différencie pourtant clairement : le regard. Alors que Priscille garde en mémoire le souvenir d'un homme doux et bienveillant, celui qui se dresse devant elle a l'air dur et intransigeant. Néanmoins, elle ne peut chasser cette impression d'être en présence d'un revenant.

Arrivée à distance réglementaire, elle s'incline dans une profonde révérence, tel qu'on lui a appris dans ses cours de bonnes manières. La gorge nouée, c'est en essayant de contrôler son émotion qu'elle lui adresse ses premiers mots préparés à l'avance :

- Je suis heureuse de vous voir, Votre Excellence.

Le Comte Oltar reste immobile, son visage ne trahissant pas le moindre sentiment. Finalement, c'est d'une voix glaciale qu'il répond :

- Heureuse ? On n'est jamais « heureux » de me voir, Princesse. Tout au plus peut-on parfois être soulagé ou positivement impressionné, mais heureux, je n'ai encore jamais entendu ça. Les gens heureux m'ennuient. Si vous voulez vivre ici en bonne harmonie, vous feriez mieux d'oublier ces notions superflues. Le bonheur n'est pas une bonne chose : il ramollit le corps et l'esprit. Dans ce monde, il vaut mieux être dur. Vous pouvez laisser le bonheur dans vos valises, Princesse, vous n'en aurez pas besoin en ces lieux. Je vous ferai découvrir des joies bien plus utiles.

Priscille ne sait que dire mais le Comte visiblement n'attend pas de réponse. Il fait signe à un vieux domestique qui invite la princesse à le suivre pour découvrir ses nouveaux appartements.

Anaïs fait mine de la suivre mais on l'arrête aussitôt : pour elle, ce sera direction les caves, là où logent les domestiques.


D'escaliers en couloirs, de couloirs en passerelles et de passerelles et enfilades de pièces, Priscille a la tête qui tourne. Elle se demande si ce château a vraiment une fin où s'il ne se prolongerait pas ainsi à l'infini. Lorsque enfin elle arrive dans ses appartements, son étourdissement se transforme en émerveillement : ceux-ci se composent de nombreuses salles toutes très spacieuses, entourées d'un balcon offrant une vue panoramique sur la vallée. La décoration intérieure est magnifique : de hauts plafonds entièrement sculptés, des murs couverts de fresques bucoliques, des statues d'angelots, des rideaux de soie et quantité d'objets décoratifs donnent à ce lieu une atmophère proprement féerique. Un vrai rêve de princesse ! C'est tout simplement le plus bel endroit qu'elle ait jamais vu ! Jamais elle n'aurait cru trouver un tel enchantement chez un homme aussi froid et sévère que le comte Oltar. Des colonnes de marbre, des tissus aux couleurs chatoyantes, des objets en cristal ou en or massif. Lustres étincelants, galerie de miroirs, cascade artificielle et tapis de velours. Et pour couronner le tout : un jardin surplombe l'ensemble des appartements, recouvert d'une coupole de verre avec vue à trois-cent-soixante degrés sur les montagnes environnantes.

Elle avait peur de ne pas se sentir à sa place, peur de regretter son ancienne chambre, mais c'est tout le contraire qui arrive : alors qu'elle parcourt des yeux le décor qui s'offre à elle, l'impression se précise que ces lieux ont été faits pour elle. Comme s'ils l'attendaient depuis toujours. Il y a quelque chose de magique et de vivant ici. Une âme qu'elle sent vibrer en communion avec la sienne.

Elle se sent comme si elle se retrouvait chez elle enfin, dans son véritable chez elle, un chez elle auquel elle aurait aspiré depuis toujours sans en avoir conscience.

*

Beaucoup plus bas dans le château, ce n'est pas dans une chambre de princesse mais bien un cagibi étroit, froid et sans aucun mobilier, excepté un lit très dur, qu'Anaïs a été conduite. Une cellule aux murs de pierre, sans fenêtre, avec comme seul éclairage une bougie dont elle est censée économiser la cire car, lui a-t-on dit, elle n'en recevra une nouvelle que tous les trois mois.

En plusieurs endroits, elle a repéré de grosses araignées qui se cachent dans les anfractuosités de la pierre.

Blottie sur sa couchette, n'osant pas éteindre sa lumière de peur que ces bestioles en profitent pour sortir de leurs cachettes, la jeune fille finit par s'endormir d'un demi-sommeil peuplé de cauchemars.

MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant