Des problèmes, toujours des problèmes...
Pourquoi les écrivains ne se contentent-ils jamais de raconter des histoires où tout se passe bien ? Pourquoi y a-t-il toujours, à un moment ou à un autre, quelque vilain mage ou quelque horrible sorcière qui apparaît pour venir tout gâcher ?
Après, on se plaint qu'il nous manque si ou ça, qu'il ne fait pas beau, qu'on a mal au dos, que notre belle-mère nous harcèle. Mais au final, est-ce qu'on ne serait pas justement accro aux problèmes ? Mais oui : les problèmes, vous adorez ça ! Autrement vous ne liriez pas cette histoire (sachant que ça va encore empirer par la suite). Alors cessez de vous plaindre ! Vive les problèmes ! Les problèmes, c'est génial !
Voyons comment nos héroïnes règlent les leurs...*
Priscille prépare ses affaires. Dans un premier temps, elle n'a droit qu'à emmener dix valises avec elle ; le reste lui sera apporté plus tard. Seulement dix valises, c'est vraiment peu pour une princesse habituée à changer de tenue trois fois par jour. Pourquoi une telle brimade ? N'est-ce donc pas assez de l'obliger à tout quitter, il faut en plus qu'on la force à se séparer de sa garde-robe ! Est-ce l'univers tout entier qui a décidé de se liguer contre elle ?!
Elle est interrompue par l'arrivée d'Anaïs, venue lui faire ses adieux. Les deux amies se jettent dans les bras l'une de l'autre. Priscille éclate en sanglots et épanche son ressentiment tandis qu'Anaïs s'efforce de la consoler. La princesse fait l'étalage de ses malheurs, de sa déception et de sa honte sans songer un seul instant que celle qu'elle tient dans ses bras se trouve dans une situation bien pire que la sienne. Mais Anaïs ne lui en veut pas ; elle l'écoute patiemment et compatit à sa détresse.
— Je me sens tellement humiliée ! Je ne suis rien pour eux qu'un bel objet devenu encombrant et dont ils essaient de se débarrasser ! Si seulement tu venais avec moi, je me sentirais moins abandonnée. Mais voilà, on ne m'a pas demandé mon avis ; ils ont tout décidé à ma place. Ils n'en ont rien à faire de ce que je pense ou ressens ! Tout ce qui les intéresse, c'est l'équilibre du royaume et surtout, l'argent de mon oncle !
La servante laisse pleurer son amie princesse. Puis, lorsque cette dernière a fini de déballer tout ce qu'elle avait sur le coeur, elle avance, sur un ton qui se veut le plus anodin possible mais qui cache mal ses espoirs secrets :
— Moi aussi, j'aurais aimé partir avec vous...
Les deux amies se regardent.
Dans leur esprit se forme alors la même pensée : et après tout, pourquoi pas ?*
— Mère ! Je refuse de partir !
Occupée à nourrir ses oiseaux dans une des nombreuses serres du palais, la reine ne prend la peine de s'interrompre pour répondre à sa fille.
— Ne dites pas de bêtises ! Qu'allez-vous faire ? Vous enfermer dans votre chambre ? L'accord a été signé et on ne peut plus rien y changer. Le Comte Oltar viendra vous chercher de force s'il le faut. S'il vous plaît, essayez de nous épargner ce navrant spectacle !
— Je veux qu'Anaïs vienne avec moi !
— Anaïs ?! Qui donc est Anaïs ?
— Ma servante, voyons !
— Oh ! Mais vous aurez tout le personnel dont vous avez besoin là-bas ! Ne vous faites pas de souci !
— Vous ne comprenez pas : je veux que ce soit elle ! C'est mon amie de toujours ! Si vous refusez, je promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour compliquer les choses. Et croyez-moi, je ne manque pas d'imagination ! Si vous voulez du spectacle, vous allez en avoir !
Et la voilà qui se met à pousser des cris stridents et à renverser les objets autour d'elle, brisant plusieurs pots de fleurs.
— Par tous les dieux ! Arrêtez ! Vous effrayez mes oiseaux ! À vrai dire, ce n'est pas moi qui décide de ces choses, je veux bien demander à votre oncle mais je doute qu'il accède à cette requête extravagante.
— Eh bien faites en sorte que ce soit le cas, ou bien je vous promets que vous n'aurez pas un seul jour de tranquillité avant longtemps !C'est ainsi que le lendemain, les deux filles sont convoquées dans le bureau de la reine.
C'est d'un air inhabituellement solennel que celle-ci les reçoit.
— J'ai reçu la réponse du Comte Oltar, commence-t-elle.
Par quel biais a-t-elle reçu cette réponse, me demanderez-vous ? Par pigeon voyageur ? Par courrier express ? N'allez pas imaginer que le monde d'Eles manque de moyens de communications. Certes on n'y utilise guère le moteur à explosion et des mots tels que "ordinateur", "téléphone" ou "internet" n'évoquent que très vaguement des concepts généralement flous n'intéressant que quelques spécialistes marginaux. Mais les outils ne manquent pas pour qui sait s'en servir et il est tout à fait possible de communiquer en direct d'un bout à l'autre du continent, voire même d'entrer en communication avec d'autres mondes. En l'occurrence, c'est son miroir aux alouettes que la reine a utilisé. Il s'agit de l'objet le plus courant utilisé par les souverains des différents royaumes pour entrer en contact. Le miroir aux alouettes est un moyen de communication relativement fiable, même si quelquefois il a tendance à ne montrer que ce que son utilisateur a envie de voir.
— Considérant la menace indéniable, continue la reine, qu'un refus de sa part aurait entraîné pour ma tranquillité d'esprit, le Comte, dans sa grande bonté et sa grande intelligence, a finalement consenti à ce que Mademoiselle Anaïs vous accompagne dans son royaume.
Les deux amies se retiennent pour ne pas bondir de joie. Mais la souveraine n'a pas fini :
— À certaines conditions toutefois. Mademoiselle Anaïs sera prise à l'essai pendant trois semaines, période reconductible indéfiniment, durant laquelle ses gages seront utilisés pour lui fournir le gîte et le couvert. À tout moment pourra être mis fin à son contrat et cela sans préavis ni indemnités de rupture d'aucune sorte. Tant qu'elle restera sous contrat, elle devra se plier au règlement d'ordre intérieur et ne pourra mettre fin à celui-ci sans le consentement de son employeur.
— Cela veut dire quoi ? demande naïvement Priscille.
— Tout simplement qu'elle ne gagnera rien et restera là-bas tant que le Comte le voudra et uniquement s'il le veut. Je suppose que vous vous rendez compte que ces conditions sont inacceptables et qu'il conviendrait donc mieux, dans l'intérêt de cette jeune fille, qu'elle se mette en quête d'une situation plus valorisante. Vous voyez, je vous l'avais bien dit que cette idée était absurde. J'espère que vous vous en rendez compte maintenant et que vous cesserez vos enfantillages.
— Mais, proteste la princesse, je serai là pour veiller sur elle ! Et puis je suis sûre que le Comte n'est pas aussi cruel qu'on le dit, c'est vous-même qui me l'avez affirmé !
— Nous devrions peut-être demander à la principale intéressée ce qu'elle en pense. Après tout, c'est à elle de décider.
Mère et fille se tournent vers Anaïs qui en une minute a eu le temps de passer par à peu près tous les états d'âme et de s'imaginer tous les scénarios possibles, du pire jusqu'au meilleur.
La servante s'éclaircit la voix et prend la peine de bien formuler sa réponse, d'une voix un peu tremblante :
— Dites au Comte Oltar que j'accepte avec joie sa proposition et que j'espère pouvoir me montrer digne de la confiance qu'il daigne m'accorder.*
Voilà. Le décor est planté : deux jeunes filles innocentes (ou plus ou moins innocentes) qui ne connaissent encore pas grand chose de la vie, se retrouvent embarquées vers un destin qui a été tracé pour elles par d'autres. Chacune dans une situation très différente : l'une simple servante sacrifiant ses intérêts immédiats dans l'espoir que son amitié avec la princesse continuera à la protéger jusqu'à la fin de ses jours, l'autre née princesse, privilégiée certes mais guère plus libre pour autant.
Que va-t-il leur arriver ? Dans quel cauchemar s'apprêtent-elles à plonger ? Leur amitié survivra-t-elle aux épreuves qui les attendent ? Parviendront-elles à garder cette formidable joie de vivre qui les anime depuis le début ?
Franchement, je l'espère, mais j'aime autant vous prévenir : ça ne va pas être facile.
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Mornglass
FantasyQuand on est princesse dans le monde d'Eles, seize ans, c'est l'âge où tout bascule. Malheureusement pour Priscille, son destin n'est pas celui dont elle avait rêvé. Son amie Anaïs, simple servante, parviendra-t-elle à la sauver ? Dans un monde fant...