Mornglass

Fin de l'intermède

J'ai passé de bonnes vacances, merci.

Je n'avais pas l'intention de vous raconter la suite de cette histoire, mais j'ai reçu des lettres de menace. Et l'autre jour, dans le parc, je me suis fait agresser par cinq jeunes filles, âgées selon mes estimations entre quatorze et dix-sept ans, qui m'ont attaché à un arbre pour me faire subir les derniers outrages. Elles m'ont dit que si je n'écrivais pas la suite dans les plus brefs délais, elles détruiraient ma vie.

Je les crois sur parole.

Il n'y a rien de plus dangereux qu'une jeune fille en colère.

Elle vous charme avec des paroles gentilles et un sourire innocent puis, l'instant suivant, vous arrache le coeur à mains nues pour le piétiner sans la moindre pitié.

Il n'y a rien de plus cruel en vérité qu'une jeune fille et je ne comprends pas pourquoi dans les contes, ce sont toujours elles qui jouent le rôle de la victime. C'est une erreur de casting. Dans la réalité, elles sont bien plus à redouter que tous les serial killers réunis. Le serial killer, lui au moins, annonce la couleur  : il est la plupart du temps très laid et très peu aimable  ; de toute sa personne se dégage quelque chose de malsain. Mais la jeune fille, elle, avec son air mutin, sa joie de vivre et ses boucles dorées, qui pourrait s'en méfier  ? Qui pourrait croire que derrière ce tableau charmant se cache le pire des pièges  ? Une piège si redoutable que vous avez beau vous faire attraper une fois, deux fois, trois fois, la quatrième à tous les coups, vous tomberez encore dedans  ! Ainsi sommes-nous doublement victimes, non seulement de nous faire avoir encore et encore, mais victimes de surcroît que l'on nous refuse précisément ce statut de victime. Au final, on se retrouve toujours avec l'étiquette du méchant, tandis que notre bourreau, elle, jouit en toute quiétude de la sublime immunité que lui confère sa condition de jeune fille.

C'est comme ça. Telle est la règle sacrée gravée dans nos esprits par les contes qui ont bercé notre enfance.

Je n'ai donc pas le choix  : il me faut poursuivre cette histoire, la mener jusqu'à son terme, quelle que soit la nature, heureuse ou malheureuse, de celui-ci.

Si toutefois je suis dans l'obligation de continuer à l'écrire, vous n'êtes en revanche pas obligés de la lire. Je vous le déconseille d'ailleurs. Car dans les chapitres suivants, il y aura des scènes de souffrance difficilement supportables et d'autres qui pourraient heurter votre morale. Je ne peux en outre pas vous garantir que les gentils sortiront vainqueurs ni que les méchants seront punis. Car si dans les autres contes tout se termine toujours pour un mieux, je soupçonne leurs auteurs de travestir la réalité qu'ils décrivent dans le seul but d'épargner leur public. Mon soucis d'honnêteté se refusant à ce genre de compromis, il faut s'attendre à ce que cette histoire finisse mal.

Ceci n'est nullement une certitude, mais c'est une possibilité.

Moi-même j'ignore encore comment cela va se passer. Je me suis fait une vague idée mais je ne suis sûr de rien.

Pour le moment, le temps est suspendu dans le monde d'Eles. Il ne reprendra sa marche que lorsque vous aurez pris la décision de tourner cette page.

Une décision qui peut être lourde de conséquences.

Réfléchissez-y par deux fois.