Chapitre Douze

145 23 0
                                    


— Celui-là, c'est le prince Dylan ; très bon amant mais un peu fougueux. Il faut savoir le contenir, si vous le laissez venir trop vite, il va tout gâcher. À côté, c'est le chevalier Erhic. Il est un peu bizarre mais très gentil. Lui, c'est le contraire : il faut le forcer un peu ; il ne fera jamais le premier pas.

Du haut de leur balcon, la princesse Priscille et la duchesse Carla observent les princes et les chevaliers rassemblés dans le parc. Ils sont venus à Antyla pour les joutes qui ont lieu plusieurs fois par an, au cours lesquelles ils s'affrontent juste pour l'honneur.

Clara de Viveseaux est une jeune fille spirituelle et très délurée. Bien qu'elle soit à peine plus âgée que Priscille, elle semble déjà tout connaître de la vie mondaine et de ses charmes secrets. La princesse était d'abord choquée de l'entendre parler si librement des choses du sexe. Elle n'a pas osé lui avouer qu'elle était encore vierge, mais sans doute Clara l'a-t-elle deviné. Celle-ci prend à coeur de lui détailler les qualités et défauts de chaque jeune homme en insistant particulièrement sur leurs performances au lit. A-t-elle vraiment couché avec chacun d'entre eux comme elle le prétend ? Est-ce possible ? Est-ce donc ainsi qu'est censée se dérouler la vie d'une noble jeune fille à Antyla ? Priscille est troublée par ces révélations. Devra-t-elle s'y mettre elle aussi ? Si elle couche avec tous ces jeunes gens, est-ce que tout le monde trouvera ça normal ? Il faudra qu'elle se renseigne. Jamais en tout cas elle n'avait imaginé que sa vie pourrait ressembler à ça. Mais puisqu'elle n'est pas destinée à se marier, alors pourquoi pas ? Après tout, elle ne fera souffrir personne. Cette perspective cependant l'effraie, en même temps qu'elle déclenche chez elle d'étranges réactions : son poul qui bat plus fort, sa respiration qui s'accélère et des délicieux frissons qui courent le long de son échine pour remonter en elle comme des bulles de soda jusqu'à venir pétiller entre ses neurones.

— Si vous voulez un conseil, poursuit Clara : prenez les deux à la fois !

— Les deux ? demande-t-elle, héberluée.

— Les deux !

— Vous voulez dire : en même temps ?! Dans le même lit ?

— Oui !

Grands dieux, elle ne savait même pas que des choses pareilles pouvaient se faire. Même dans ses fantasmes, elle n'avait jamais osé aller si loin. A-t-on vraiment le droit de faire ça ?

— Le plus délicat, c'est de bien assortir ses partenaires. Par exemple, ne prenez jamais Lyonel avec Taric, ça ne fonctionnerait pas du tout ! Par contre, Taric et Léogard, excellent choix !

— J'avoue que je me sens un peu perdue. C'est... C'est un peu trop nouveau pour moi.

— Je vous écrirai une liste complète, une espèce de pense-bête pour vous aider à vous y retrouver.

— Merci...

— Oh, mais de rien ! C'est normal qu'on s'entraide entre filles !

Comme elle est en proie à des bouffées de chaleur et qu'elle a de plus en plus de mal à mettre de l'ordre dans ses idées, la princesse quitte momentanément la duchesse pour aller prendre le frais dans les jardins. Il s'agit de jardins sous serres qui s'étendent sur de vastes terrasses suspendues aux flancs de l'immense château d'Antyla. Heureusement qu'ils sont couverts car le climat est très rude par ici ; au lieu d'offrir une agréable fraîcheur, ils devraient être battus par un vent glacial.

Comme elle s'écarte du rassemblement des chevaliers, elle aperçoit une silhouette glisser furtivement entre les arbres. Une silhouette à quatre pattes.

Le chat Lemnis.

Elle est presque sûre de l'avoir reconnu. Que traîne-t-il donc encore par ici, cet impertinent animal ? Ce n'est pas la première fois qu'elle le revoit. On dirait qu'il rôde toujours dans les parages, qu'il a ses aises partout, apparaissant toujours là où on l'attend le moins. Décidant de le suivre, elle s'avance entre les arbres. Mais il a disparu. Seules quelques empreintes au sol attestent de son passage. Elle continue. Il fait sombre par ici, loin des lumières artificielles. C'est maintenant le soir, mais même en plein après-midi de toute façon, le ciel d'Antyla est toujours couvert. Elle entend un bruit. Elle se fige. Ce sont des bruits de pas, ceux d'un être humain qui avance d'une démarche assurée. Elle voudrait retourner d'où elle vient, mais elle n'est plus très sûre maintenant du chemin qu'elle a emprunté. Était-ce à droite ou plutôt de ce côté-là ? Elle ne reconnaît plus rien. Quelle est l'étendue de ces jardins ? Ils semblent beaucoup plus vastes qu'elle ne se l'était figuré. Elle n'aurait jamais dû s'écarter du groupe. Les pas se rapprochent. Elle se décide à courir lorsqu'un homme apparaît soudain devant elle. Elle pousse un cri.

C'est le comte Oltar.

— Oh, mon oncle, vous m'avez fait peur !

— Une princesse corégente digne de ce nom ne s'aventure jamais seule dans les jardins. Que croyez-vous que les gens vont penser de vous ?

— Ne le prenez pas mal, j'avais juste besoin d'un peu d'air frais et je me suis égarée.

Le comte reste à la dévisager d'un air glacial puis, sans ajouter un mot, il l'escorte pour rejoindre les convives.

Comme depuis le début, il surveille en permanence ses moindres faits et gestes. Dans ces conditons, elle ne voit pas trop comment elle pourrait batifoler avec tous ces jeunes hommes. La duchesse Clara n'a sans doute pas ce genre de problème. D'un côté, ça la rassure un peu : pour le moment, elle préfère ne pas trop se sentir libre car elle ignore elle-même ce qu'elle veut exactement. Alors autant qu'on ne lui laisse aucun choix, c'est plus simple. Ainsi, elle ne risque pas de commettre un acte qu'elle pourrait regretter par la suite.

— Un cocktail, Princesse ?

Elle sursaute. L'espace d'un instant, elle a été convaincue de voir Anaïs devant elle. Mais ce n'est pas elle : juste une servante qui lui ressemble un peu, avec les mêmes longs cheveux bruns.

Anaïs. Voilà la personne à qui elle aimerait parler pour le moment. Son amie saurait certainement l'aider à y voir plus clair. Cela fait plusieurs jours qu'elle ne l'a plus vue. Elle a été tellement occupée, jamais une minute à elle ! Leurs longues heures passées à Mornglass à ne rien faire, leurs interminables discussions sur tout et sur rien, ainsi que leurs folles escapades. Tout cela commence vraiment à lui manquer. Il va falloir qu'elle en parle au comte. Juste la voir un peu plus souvent, ce n'est tout de même pas trop demander. Après toutes ces contraintes qu'elle subit depuis le début : se changer trois ou quatre fois par jour, rester toujours souriante et gracieuse, après tous ces efforts, ces sacrifices, elle mérite bien une petite faveur !






MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant