Chapitre Vingt-sept

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Anaïs tient précieusement le cristal entre ses bras. Il mesure environ quarante centimètres et pèse au moins cinq kilos. Le sentant animé d'une vie qui lui est propre, elle le porte comme un nourrisson. Il émane de lui une douce chaleur, en même temps que de sourdes vibrations.

Soudain prise de vertige, elle est obligée de s'arrêter pour reprendre ses esprits. Sans doute le contrecoup de toutes ces émotions. Il lui reste encore plusieurs étages à monter avant de rejoindre sa chambre, en prenant soin de ne pas se faire voir.

—Vous voyez, ce n'était pas si difficile.

Elle sursaute.

Lemnis, évidemment. Le chat l'attendait. Il fixe le cristal d'un air avide.

—Donnez-le moi, maintenant...

Il s'avance vers elle, mais elle recule, méfiante.

—Qu'allez-vous en faire ?

—Je vais en faire ce que je dois en faire. Ne vous occupez pas de ça.

—Pourquoi vous croirais-je sur parole ?

—Allons, ne faites pas l'enfant...

Sans plus d'explication, il bondit sur elle. Il a été très vif, mais pas assez : la jeune fille parvient à l'éviter de justesse. Elle n'a pas l'intention de se laisser faire si facilement. Le chat tourne autour d'elle et se met à feuler en balançant sa queue d'un air menaçant. Ce n'est plus le gentil minou, ni même l'animal horripilant mais bien un fauve en colère désormais, un prédateur affamé qui se tient devant elle.

—Donnez-moi ça ! Il n'est rien que vous puissiez en faire.

Avant qu'il bondisse à nouveau, elle se précipite vers une porte et la referme derrière elle. Puis elle se met à courir à toute vitesse. Malheureusement, au détour d'un couloir, elle se prend les pieds dans un tapis et s'étale de tout son long, lâchant le précieux cristal qui rebondit sur le sol en carillonnant. Elle tâche de se relever le plus vite possible avant que l'animal soit de nouveau sur elle. Le cristal est là, seulement deux mètres devant elle. Mais un pied est posé dessus.

Elle se fige.

C'est une chaussure de femme, noire avec des talons. Au-dessus du pied, une robe, noire elle aussi.

Madame Kalisse.

À ses côtés se tient Monsieur Grégor, ainsi qu'un soldat armé d'une pique.

Derrière, plus aucune trace du chat.

—Eh bien, Mademoiselle ? commence la vieille gouvernante. Qu'est-ce donc que ceci ?

—On dirait bien que nous avons à faire à une petite voleuse, ajoute Monsieur Grégor.

—Non ! se défend Anaïs en se redressant. Ce n'est pas ce que vous croyez. Cet objet m'appartient !

—Je ne me souviens pourtant pas l'avoir vu dans vos bagages. Je crois plutôt que vous êtes une menteuse. Cela ne m'étonne guère. J'ai toujours su que vous étiez une mauvaise fille. Depuis le début, vous avez une très mauvaise influence sur la princesse. Les dieux savent à quel point j'ai essayé de faire comprendre ça à sa Majesté la Reine ! Et si jusqu'à présent je n'ai pu apporter la preuve de votre duplicité, c'est uniquement que la chance était de votre côté. Mais je suis très curieuse de savoir comment vous allez justifier ça à Son Excellence quand il sera de retour.

C'est un cauchemar. La pire chose qui pouvait lui arrriver. Cette vieille chouette l'a toujours détestée et elle se réjouit d'avoir enfin une occasion de se débarrasser d'elle. Elle est fichue. La vieille bique va garder le cristal et racontera tout au comte, qui la sanctionnera à son retour. Son sort est scellé : sa cellule est déjà prête au fond des caves, elle n'attend plus qu'elle. C'est là qu'elle va finir ses jours.

—Emmenez ça en sécurité dans mes appartements !

Anaïs voit s'éloigner définitivement l'objet de tout ses espoirs, celui qui était censé tout arranger et qui au lieu de cela va causer sa perte.

—Quant à vous, reprend la gouvernante d'un ton doucâtre, je vous laisse libre. Vous aurez ainsi tout le temps de méditer sur les conséquences de votre acte. Mais n'imaginez pas vous enfuir : je vais donner des instructions pour que toute sortie du château vous soit interdite !

Elle tourne les talons et laisse l'infortunée à son désarroi.

—Eh bien voilà ! Je suppose que vous êtes contente !

Assis sur un meuble, le chat Lemnis la fixe d'un regard sombre. Elle n'est même pas surprise de le revoir.

—Par votre faute, tout est perdu ! Vous pouvez être fière de vous : vous venez de condamner votre amie !

—Je ne voulais pas ! se défend Anaïs en sanglotant. Dites-moi ce que je dois faire, je vous en prie ! Je vous écouterai, désormais !

—Trop tard, répond l'animal en sautant de son perchoir. Pour vous, il n'y a plus rien à faire. Quant à moi, je m'en vais poursuivre ma vie de chat.

Il laisse seule la jeune fille, qui s'effondre sur le sol et pleure toutes les larmes de son corps.


MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant