— Je ne veux pas te faire mal ; je ne l'ai jamais voulu. Je n'ai jamais voulu te faire peur, ni te faire de la peine. Ni même te heurter, de quelle que façon que ce soit.
Priscille est alitée. Assise à ses côtés se trouve Capucine dont elle tient la main.
— Je suis une gentille fille. Je n'ai jamais voulu faire de mal à personne. Tout ça n'est pas ma faute. C'est juste que tout a un prix. Je veux rester belle, tu comprends ? Ne le voudrais-tu pas, toi aussi, si tu en avais la possibilité ? La magie est étrange. Elle provoque de bien curieuses réactions. Mais ça va passer ; il faut juste le temps que mon corps s'habitue. Mon oncle me l'a promis. En attendant, pardonne-moi s'il m'arrive encore de te faire du mal. Sache que je n'ai rien contre toi ; tu ne dois pas le prendre personnellement. C'est juste que j'en ai besoin.
— Je comprends.
— C'est vrai ?
— Oui, enfin, je crois. Au début, je ne vous comprenais pas. Je pensais que vous étiez folle. Mais je vois maintenant que vous souffrez, vous aussi. Peut-être même plus que moi. J'imagine que ce n'est pas forcément facile d'être à votre place. Vous ne faites pas tout ce que vous voulez. Moi, je ne suis qu'une pauvre fille, je ne connais rien à la magie. Mais je me dis que peut-être si j'étais née princesse, alors je serais devenue comme vous, moi aussi.
— Alors tu ne m'en veux pas ?
— Non.
— Merci ! Tu ne peux pas savoir quel soulagement c'est pour moi ! Je ne sais pas si je le mérite, mais je te promets de faire encore plus d'efforts à partir de maintenant ! Je ne m'en prendrai plus à toi ! Promis !
— Merci, mais...
Capucine se lève puis, d'un air grave, elle reprend :
— Je ne sais pas si c'est une bonne idée.
— Que veux-tu dire ?
— Regardez-vous, Princesse : vous dépérissez un peu plus chaque jour ! Vous ne pouvez pas vous laisser aller ainsi ! À force, il pourrait vous arriver quelque chose ; je ne veux pas être responsable de ça.
— Mais que voudrais-tu y faire ?!
— Si pour aller mieux vous avez besoin de me faire du mal, alors faites-le !
— Tu ne parles pas sérieusement !?
— Si. Moi aussi j'ai bien réfléchi. La douleur physique, ce n'est pas grand chose : ça fait beaucoup moins mal que les mots. Si je peux choisir, je préfère que vous me frappiez. Mordez-moi, coupez-moi, faites tout ce que vous voulez ! Mais s'il vous plaît, ne jouez pas avec mes sentiments ! Je ne veux pas que ça recommence comme avant. Je préfère que vous me le disiez franchement lorsque vous ressentez le besoin de me faire du mal. Même si j'ai de la peine à le comprendre, je peux l'accepter. Mais par pitié, ne cherchez plus à m'insulter, à m'humilier et à me faire peur ! Je ne pourrai pas le supporter longtemps !
Priscille la regarde avec de grands yeux effarés. Elle n'arrive pas à croire que Capucine préfère recevoir des coups plutôt que des insultes ! En voulant l'épargner un maximum, elle se rend compte qu'elle a fait exactement l'inverse : le traitement qu'elle lui a fait subir, tout compte fait, est peut-être bien pire que ce qu'aurait pu faire le comte avec toute sa brutalité.
— Je... Je suis désolée... Désolée pour tout...
— Ce n'est rien. Maintenant, venez !
Capucine se tient debout, les bras légèrement écartés en signe d'offrande.
Priscille se lève et s'avance vers elle. Elle va faire ce qu'elle aurait dû faire depuis le début : la frapper, la pincer, la mordre. Peut-être ira-t-elle jusqu'à boire son sang. Après, elle se sentira mieux, elle retrouvera des forces. Elle sent déjà l'énergie couler en elle à mesure qu'elle approche de sa victime consentante. Ça va être bon, ça va être délicieux.
Ce sera l'extase.
Mais au dernier moment, elle se retient.
— Non, je ne peux pas.
— Princesse, je vous en supplie ! Finissons-en ! Je ne vais pas pouvoir supporter de vivre en permanence dans la peur de vous voir craquer à nouveau !
— Ce que tu dis est horrible ! Je ne vais pas te toucher ! Je ne vais pas te faire du mal !
— Mais vous ne voyez donc pas que c'est en ce moment-même que vous me faites souffrir ?!
— Eh bien tant pis pour toi ! Je ne suis pas un monstre ! Il est hors de question que je te brutalise !
— Princesse, je vous en prie ! Je n'en peux plus ! Vous allez me rendre folle !
— Tais-toi ! Je ne veux plus t'entendre, tu as compris !? Reste là et tais-toi ! Pauvre petite traînée stupide !
Capucine éclate en sanglots. Le cauchemar continue. La méchante princesse est revenue ; elle va continuer cette torture psychologique qui finira par la briser complètement.
La porte de la chambre s'ouvre brusquement.
C'est le comte.
Sans un mot, d'un air hagard, il s'avance vers la servante et l'attrape par le poignet.
— Que faites-vous ?! intervient Priscille.
— Désolé Princesse, mais j'ai faim !
— Comment ?! Mais que...
— Un petit problème technique au château. Ça va être vite réglé mais en attendant, j'ai besoin d'énergie. Je vous emprunte votre esclave.
— Vous allez lui faire du mal ?
— Bien sûr ! Quelle question ! Tant pis pour vous si vous avez encore faim. Je vous l'ai laissée bien assez longtemps. À mon tour !
— Non ! Je vous interdis !
Priscille tente de s'interposer et de les retenir, mais peine perdue ; le comte se débarrasse d'elle d'une simple poussée qui l'envoie voler sur son lit. Capucine, quant à elle, est trop hébétée pour songer à se débattre ou même pousser un cri. Dans ses yeux se lit la résignation. Voire même une forme de soulagement.
Restée seule, Priscille enrage. Elle regrette tous ses efforts. À quoi bon chercher à être gentille si au final ce n'est que pour récolter des reproches et se voir dérober la seule chose qui aurait pu la soulager ? À quoi lui a-t-il servi d'épargner cette fille si c'est pour la voir finir dans les mains d'un pire monstre qu'elle ?
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Mornglass
FantasyQuand on est princesse dans le monde d'Eles, seize ans, c'est l'âge où tout bascule. Malheureusement pour Priscille, son destin n'est pas celui dont elle avait rêvé. Son amie Anaïs, simple servante, parviendra-t-elle à la sauver ? Dans un monde fant...