Chapitre Vingt-huit

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Capucine n'a jamais eu de chance dans la vie. Son père est mort à la guerre quand elle était toute petite. Elle se rappelle à peine de lui. Dans ses rêves, elle l'imagine en valeureux chevalier combattant pour défendre les innocents, toujours là quand on a besoin de lui.

Sa mère, quant à elle, est partie un jour et elle n'est plus revenue. Elle n'a jamais su pourquoi.

Capucine a alors été confiée à sa tante, une femme qu'elle n'avait jamais vue et qui vivait dans un pays lointain. C'était une femme arrogante et cruelle, qui ne l'a jamais aimée. Elle lui a toujours fait sentir que sa présence était une charge très pénible. Lorsque ses cousins et cousines s'en allaient à l'école, Capucine, elle, devait partir travailler. Chez un boucher. Elle détestait ce travail. Il y avait d'abord le trajet : plusieurs heures de marche, été comme hiver, avec de mauvais souliers et toujours les mêmes vieux chiffons comme vêtements. À la boucherie, on lui faisait faire tout le sale travail, sans jamais un merci ou un mot d'encouragement. Le moindre prétexte était bon pour la rabaisser.

Heureusement, il y avait Quentin.

C'était un garçon de la ville qui comme elle devait travailler. Il faisait les livraisons. À la moindre occasion, dès qu'ils parvenaient à se libérer, ils jouaient ensemble à toutes sortes de jeux innocents et se racontaient leurs rêves, ce qu'ils auraient aimé devenir, ce qu'ils seraient plus tard. Avec lui, elle oubliait tous ses chagrins. Chaque journée, aussi pénible soit elle, était supportable si elle pensait que demain, à nouveau, elle pourrait voir Quentin.

Hélas, alors que Capucine grandissait et que des idées de liberté commençaient à germer en elle, sa tante lui annonça qu'elle avait été vendue.

Au comte Oltar.

Le jour même, sans même qu'elle ait eu le temps de dire au revoir à son ami, elle était embarquée de force, direction le château d'Antyla.

Elle n'a jamais revu Quentin.

C'était il y a deux ans.

Elle n'est pas si mal à Antyla : un lit plus confortable que la misérable paillasse que sa tante mettait à sa disposition, à manger tous les jours, des collègues pas franchement gentils mais moins méchants que ses cousins et cousines. Tout pourrait aller pas si mal. Malheureusement, il y a le comte. Depuis le début, il lui inspire une peur panique. Quand elle a le malheur de briser une tasse ou de renverser un plat, c'est lui qui se charge personnellement de lui administrer sa correction. Et il sait comment s'y prendre pour lui faire mal. Il prétend qu'il n'y a que ça qu'elle puisse comprendre et qu'elle le remerciera plus tard. Une bonne punition est salutaire, affirme-t-il toujours. Ces punitions sont devenues sa principale terreur.

C'est comme ça.

Elle n'a jamais eu de chance dans la vie.

Récemment pourtant, elle a bien cru que son sort allait s'améliorer : on lui a annoncé qu'elle serait désormais au service personnel de Priscille, la Princesse Corégente. La princesse a presque le même âge et elle a l'air gentille. Aussi, elle est très belle. Capucine s'était dit que la servir serait un honneur et un plaisir, voire même peut-être qu'elle pourrait s'en faire une amie. Mais elle a vite déchanté. Car la princesse est très bizarre. Elle passe sans arrêt d'une gentillesse excessive à des accès de méchanceté soudains et inattendus. Un peu comme s'il y avait deux personnages différents en elle. Elle lui fait de plus en plus peur. Parfois, elle a l'impression de se retrouver face à un monstre prêt à la dévorer.

Comme en ce moment...

— Tu m'as arraché les cheveux !

Alors qu'elle était en train de la coiffer, la princesse s'est redressée brusquement.

MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant