Mornglass

Chapitre Trente-sept

Les soldats du comte ont fouillé le château de fond en comble. Des caves jusqu'aux jardins suspendus, des cuisines aux logements des domestiques. Aucune trace des prisonnières nulle part. Ne reste plus qu'un seul endroit  : les appartements de la princesse. Toutes les issues sont surveillées, elles ne pourront pas s'échapper.

Dans le hall d'entrée, personne.

Dans le grand salon, ils prennent le temps de jeter un oeil dans les moindres recoins, derrière chaque tenture, sous chaque meuble, à l'intérieur de chaque buffet. Où qu'elles soient cachées, ils finiront bien par les déloger.

— Allez vous-en  !...

Une jeune fille vient de faire son apparition. Mais ce n'est pas une prisonnière  : c'est Anaïs, la servante venue de Mornglass avec la princesse Priscille. Elle titube et se tient le ventre. Son visage a des marques de coups et ses vêtements sont tachés de sang.

— Fuyez, pauvres fous  ! Elles vont vous tuer  ! Elles nous détruiront tous  ! Jusqu'au dernier  !

— Qui ça  ? De quoi parlez-vous  ?!

Anaïs s'effondre dans les bras d'un soldat.

— Les âmes des princesses disparues... Nous sommes maudits  !

Puis elle s'écroule sur le sol, inconsciente.

Interloqués, les soldats se regardent sans trop savoir ce qu'il faut en penser. Puis ils remarquent qu'une autre jeune fille vient de faire son entrée. Elle porte une robe de nuit et se tient debout sans bouger, les fixant d'un regard sombre.

— Je la reconnais... C'est la princesse Kamina, la dernière épouse du Comte  !

— Celle qui pactisait avec les démons?!

— Elle est revenue d'entre les morts  !

— Emparez-vous d'elle  ! lance leur chef, qui reste cependant prudemment à distance.

Bien qu'apeurés, les soldats s'avancent malgré tout vers la jeune fille, qui n'esquisse pas le moindre geste.

Une autre voix les interrompt  :

— Enfin de la chair fraîche  !

De l'autre côté du salon, une fille s'avance vers eux d'un pas tranquille mais résolu. Ses cheveux sont ébouriffés et sa bouche est barbouillée de sang.

— Après tout ce temps passé dans les ténèbres, je vais enfin pouvoir me rassasier  !

— C'est la princesse Désira  ! Les troisième épouse du comte  !

— Vous êtes sûr  ?

— Certain  !

— Attrapez-la aussi  ! Les ordres de Son Excellence sont formels  !

Mais deux nouvelles filles font leur apparition  : la princesse Tina et Saline de Khorkal, respectivement deuxième et quatrième épouse. Elles ouvrent de grands yeux déments et s'expriment d'une voix rauque  :

— Laissez-les moi  ! J'ai faim  !

— Je prends le moustachu  !

— Le petit gros est à moi  ! Que personne n'y touche  !

De plus en plus effrayés, les soldats reculent, ignorant les ordres de leur chef qui recule lui aussi, en restant bien protégé derrière ses hommes. C'est le moment que choisit Clara, la toute première épouse, pour surgir à son tour en poussant des hurlements sauvages. C'en est trop pour les soldats  ; ils prennent la poudre d'escampette en détalant dans la panique la plus totale  !

Bientôt, il ne reste plus dans le salon que les cinq princesses.

Et Anaïs, gisant toujours par terre.

Cette dernière se relève.

Elle ne semble plus avoir mal au ventre. Ni nulle part ailleurs.

— Bien joué, les filles  !

— Qu'est-ce qu'on fait, maintenant  ? demande Désira en frottant le faux sang qui macule ses lèvres.

— Il faut agir vite  ! L'effet de surprise ne durera pas. Il nous reste peu de temps pour partir d'ici  ! Suivez-moi  !