Part.I - 1.1 : L'héritage de Potens et Sapia

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Notre légende débute au cœur des arides plateaux du sud de l'empire. Ce fut dans cette vaste zone sèche, rocailleuse et venteuse, aujourd'hui terre sacrée des pèlerins, que naquit le sorcier le plus puissant de tous les temps.

Une année avant la venue au monde d'Athanasius Luminarii, trente-six avant celle de son fils, Iudicael, un bébé chétif s'endormait paisiblement alors que sa mère se remettait d'un accouchement pénible mais bref. Ému aux larmes de la rencontre tant attendue avec son enfant, le sorcier Potens déposait de tendres baisers sur les joues de son épouse, Sapia. Premier et unique enfant de la maisonnée, il fut accueilli dans les Profondeurs avec autant d'amour qu'il est possible d'en donner.

— Que les arcanes te soient heureuses, lui souhaita, comme le veut la tradition, sa mère.

— Sois le bienvenu parmi nous, poursuivit Potens. Bienvenu, Magnus.

Maigrelet, le bambin peina longtemps à prendre des forces, pour la plus grande inquiétude de ses parents. Sapia et Potens n'étaient que très modestes sorciers, oscillant dangereusement avec la pauvreté, comme une grande partie de leur peuple. Ils s'étaient établis, quinze années plus tôt, près d'un léger renfoncement rocheux¹ qui leur permettait de se défendre des harassantes bourrasques comme celles que l'empire aime offrir. Comme partout, le terrain était difficile à cultiver, les champignons friables, les légumes insipides. En un mot, la vie des trois sorciers était exigeante, mais l'amour incommensurable des parents pour leur fils leur permit de surmonter les premiers mois difficiles et peu à peu l'enfant prit consistance.

Très tôt, alors que Magnus n'avait à nos yeux humains que deux ans, Potens et Sapia prirent la décision de partir en quête de terrains plus fertiles. Après tout, il n'y avait rien de plus banal que de voir des Sorciers partir ainsi en quête d'un nouveau refuge. Empaqueté sur le dos de son père, le nourrisson affronta vents glaciaux et plateaux désertiques des semaines durant, découvrant avec innocence l'âpreté du domaine qui, plus tard, chanterait ses exploits. 

De cette époque d'itinérance comme des premières années suivant l'installation aux pieds de la cordillère de Krahn², Magnus ne conserva que très peu de souvenirs, si ce n'est un véritable sentiment de bonheur. Après tout, Potens et Sapia sacrifiaient tout pour leur enfant : il leur arrivait de sauter des repas pour qu'il puisse manger à sa convenance, ils prenaient soin d'acheter de quoi subvenir à tous ses besoins et ils abandonneraient tous leurs biens pour que leur fils puisse vivre l'existence qu'il désirerait mener. Évidemment, l'amour guidait leurs motivations, mais le père comme la mère comprirent très tôt que leur progéniture était bel et bien destinée à de grandes choses. 

Magnus apprit très tôt à parler, lire, compter et utiliser ses deux mains³ grâce à l'éducation rigoureuse et parfois intransigeante que tenait à lui inculquer sa mère. Ils leur arrivaient de croiser des marchands possédés, sorciers ou asuras itinérants et toujours Sapia s'attachait à acheter quelques feuillets pour son fils. Aucun des deux ne se préoccupait réellement des nouvelles qu'ils lisaient, après tout, ils ne les comprenaient pas vraiment. Aussi, en grandissant, l'enfant sentit vite la frustration l'envahir en ne trouvant aucune définition à des termes tels que "Invocateur", "Ness-Terath", "Humains" ou bien "belliqueux". Quand bien même, l'essentiel était ailleurs. 

A son physique frêle succéda un corps plus robuste au fil des années. Le charme qu'on lui connaît bien trouve ses racines à cette époque de sa vie : ses yeux noisette se firent plus pénétrants, sa chevelure ondula en de voluptueuses boucles brunes et un sourire espiègle annonçait déjà à ses parents la présence d'un esprit rusé. Au contraire de Sapia et Potens, il ne faisait aucun doute que Magnus deviendrait l'archétype du sorcier tel que l'imaginaire humain l'a conçu. 

Au-delà du régime contraignant auquel ils s'adonnaient depuis des années, ses parents illustraient la branche "faible" de leur espèce. Nous l'avons déjà souligné, les Sorciers étaient, parmi les peuples de l'Ombre, de ceux dont le physique avait été inspiré de l'apparence des Humains de la Surface. Ils étaient généralement plus grands et plus larges que les Hommes, plus forts, et ils vivaient bien plus longtemps⁴. Ni le père ni la mère de Magnus ne répondait à ces critères. 

Magnus comme ses parents s'amusaient au final de cette différence qui ne cessa de se prononcer au gré des ans, mais il est une autre distinction qui frappa bientôt la famille, pour sa plus grande et heureuse surprise. 

Plongé dans un profond sommeil sur sa fine paillasse, Magnus, un jour de l'an 79, se mit à marmonner, au grand amusement de sa mère alors en train d'éplucher des rogaves⁵. Ses doigts se mirent à danser sur sa poitrine, puis le légume s'échappa des mains de Sapia avant de se découper de lui-même. L'enfant se réveilla quelques instants plus tard et découvrit le visage estomaqué de sa mère. 

Magnus avait alors un peu plus de cent ans, soit l'équivalent, pour les humains, d'un enfant ayant dépassé la dizaine d'années, et il venait de s'éveiller⁶. Les yeux paralysés de Sapia ne témoignaient pas de peur, ni même d'ailleurs de fierté à cet instant. Cela relevait plutôt de l'ébahissement, car les Sorciers voyaient leurs dons apparaître, normalement, cinquante à cent ans plus tard que l'âge auquel venait de le faire l'enfant. 

Comme tous les parents, Potens et Sapia avaient toujours su que leur fils était spécial, talentueux, grandiose. Ils en avaient là la certitude. Il apparaissait donc nécessaire de redoubler d'efforts. 

Potens multiplia les efforts pour pouvoir vendre une partie de ses maigres cultures, en dépit de sa santé. De faible constitution, le père de Magnus peina bien rapidement à suivre la cadence qu'il s'était fixé, mais il tenait lui aussi à étoffer la modeste collection d'ouvrages que la famille commençait à se constituer. Sapia de son côté allongea la durée des leçons journalières pour son enfant, mais les limites de son savoir se firent vite sentir, à son plus grand dam.

Si ces humbles origines participeraient indéniablement à la légende de Magnus plus tard, elles représentaient à cette époque une tragédie aux yeux de ses parents. Potens comme Sapia travaillèrent toujours plus, toujours plus dur, mais l'un comme l'autre durent se rendre à l'évidence, leur condition freinerait l'ascension de leur fils, si elle ne la détruisait pas. Ils étaient et demeureraient une famille de sorciers de second rang⁷. Il n'était pas naturel qu'ils engendrent une progéniture aussi prometteuse.

"Il est né des mauvais parents, au mauvais endroit..." se lamenta un jour Potens. 


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1. Aujourd'hui appelé le Ventre de Sapia

2. Chaîne de montagnes de basalte située au sud-ouest de l'empire.

3. L'ambidextrie étant une qualité indispensable pour devenir un grand sorcier.

4. Les dernières études estiment que la taille moyenne d'un sorcier en bonne santé oscille entre 2m et 2m40 pour une espérance de vie allant de sept à neuf cents ans (en années humaines).

5. Variété semblable au rutabaga que l'on ne retrouve que dans les Profondeurs.

6. L'Éveil correspond, dans la culture sorcière, au moment où apparaissent les premiers pouvoirs d'une créature. Il représente l'un des moments les plus importants de l'existence des Sorciers.

7. Entendons par ce terme un sorcier qui recourt à ses pouvoirs uniquement dans le cadre domestique et en aucun cas pour établir sa puissance.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant