Part.III - 4.3 : La réalité de la détention

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Dix-sept années. Dix-sept longues années vont s'écouler entre l'arrivée de Nephyl à Norr Giliath et sa fuite. Pendant ces dix-sept années, il va expérimenter les conditions de détention qui ont fait la renommée de la prison du Monde, des conditions que les détenus sont censés affronter toute leur existence, jusqu'à leur mort. Après tout, nulle créature ne s'était jamais évadée de Norr Giliath avant le célèbre sorcier.

L'île est coupée du reste du territoire, perdue au milieu du Vastazul, surveillée par les Aéromanciens du Pic des Quatre Vents. C'est une terre atrocement humide, balayée par des vents violents. Suffocants, printemps et étés sont les objets d'une atroce fournaise dont seules se réjouissent les moisissures. Glaciaux, automnes et hivers sont les périodes propices aux maladies¹. 

Les cellules font passer celles de la Tour Noire d'Ammo pour des chambres royales. La pierre y est rugueuse, la pièce rarement pourvue d'autre chose qu'une fine couchette pleine de puces nettoyée une fois par année. Sohl, Samaël ou Nephyl n'ont d'ailleurs pas connu ce privilège, étant condamnés à rester suspendus à des chaînes ou par la magie des gardes crieurs. Tout contact entre prisonniers était ainsi précautionneusement évité, aussi les seuls échanges entre eux se résumaient à des échos de cris ou de pleurs.

Comme le vieil adage le rappelle, "on envoie quelqu'un à Norr Giliath pour qu'il y meurt."

Lévitant au sommet de la tour principale de l'île, Nephyl était le seul et unique prisonnier de classe cinq de l'histoire de Norr Giliath. Quotidiennement, une petite dizaine de crieurs et de spahis le surveillaient dans sa cellule, alors que quelques autres assuraient des rondes à l'étage. Maintenu dans les airs par les pouvoirs du peuple de Guido, le sorcier était conservé dans un état oscillant entre la somnolence et la pleine conscience des tortures qu'on lui infligeait à intervalle régulier. C'est pourquoi le fougueux et impétueux prince qui arriva à la prison en 487 tenta bien vite de s'échapper par lui-même.

Persuadé d'avoir convaincu ses geôliers de sa soumission, il profita d'un relâchement pour s'extirper de ses liens au début de l'année 488. Rassemblant les ultimes forces qu'il sentait le quitter, Nephyl attaqua les crieurs qui l'entouraient, en tua cinq sur le coup, et tomba nez-à-nez avec les spahis. Mû par une énergie insoupçonnée, il terrassa tous les humains qui se présentaient face à lui et parvint à se frayer un chemin jusqu'à la porte de sa cellule, qu'il fit voler en éclat.

La vice-capitaine Shahati se dressa alors face au sorcier, déjà éreinté par son coup d'éclat, bientôt rejointe par d'autres sentinelles qui se pressèrent en masse à l'étage. La spahi évita l'attaque suivante de l'ombrescent, avant de lui asséner un violent coup de paume au niveau du thorax. Ses frères d'armes se jetèrent aussitôt sur Nephyl pour le reconduire dans sa geôle tout en le gratifiant de coups supplémentaires. La voix rauque du capitaine de Norr Giliath, Varius, résonna alors dans tout le niveau : "Triplez la garde ! Je veux une vingtaine de crieurs dans sa cellule, et tout autant de spahis avec eux. Je veux trente sentinelles constamment dans cette pièce !"

Mis K.O. par la seule force de la vice-capitaine, le sorcier sentit son corps martelé se traîner sur le sol dallé avant de s'envoler brusquement dans les airs. Son regard croisa celui d'un crieur, et alors les images se bousculèrent dans sa tête.

Il voyait son père et lui, des décennies, des siècles même plus tôt, alors que des ombrescents leur clamaient leur amour. Il voguait dans les Profondeurs, son domaine, dans lequel il avait tant joué avec les Chimères. Il sentait la méfiance des Arcanistes. Il entendait les hurlements de son père. Il humait l'odeur de mort qui empestait dans les geôles de la Citadelle. Il rêvait de sa mère... Puis son sang se mit à bouillir, ses muscles se raidirent, sa peau l'irritait, tous ses sens le tourmentaient. Et il cria. Il cria des heures, des jours durant.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant