De retour à la Citadelle¹, Nephyl constata non sans une certaine satisfaction que les archidémons lui avaient obéis et que l'armée impériale était sur le pied de guerre. Il s'étonna toutefois de voir autant d'humains présents dans leurs rangs. Conscient, tout autant qu'Ezéchiel, ils échangèrent pour la première fois quelques mots sans animosité :
"J'ai permis aux Humains de la Colline de trouver refuge ici. Le Pyromancien ne les a pas tués. Je ne t'ai rien dit pour des raisons évidentes, ces mêmes raisons qui font que j'ignorais que tu avais levé notre armée, pour protéger mon empire. Peut-être mon père a-t-il raison. Peut-être que pour mener à bien tout ceci, nous devons collaborer, toi et moi."
Si la bataille de la Citadelle fut l'une des plus impressionnantes de l'Histoire, on retient d'elle notamment que la dyade formée par Ezéchiel et Nephyl causa des dégâts incommensurables dans les rangs faucheurs. Leur entente naissante contribua à n'en pas douter à la victoire coalisée face aux troupes des Lieutenants. Mais la guerre ne s'acheva pas avec la retraite des soldats du Fossoyeur, aussi l'empereur, ses archidémons et l'escouade zéro d'Azoraï Lyaren s'en allèrent à Obsidienne, mettre un terme aux agissements du dieu des Semeurs de Mort.
Au cœur de la Fosse, Nephyl retrouva bien évidemment le Fossoyeur, mais aussi le Pyromancien, et, surtout, Nephtys. Poussé par une confiance exacerbée par le retour de ses pouvoirs, le sorcier ne cessa de provoquer ces trois créatures qui prenaient plaisir à pousser le monde vers sa destruction. En dépit des mises en gardes d'Ezéchiel, il sous-estima l'état de Nephtys et de ses champions, d'autant plus que la Reine-Mère chimère avait péri quelques heures plus tôt du sabre d'Azoraï Lyaren. Nephtys, le Fossoyeur et Ignis n'eurent pourtant aucune difficulté à fuir d'Obsidienne, en emportant avec eux Nihel Scavar².
Accablée par la culpabilité d'avoir ainsi provoqué Nephtys et causé la capture de la nécromancienne, l'âme de Nephyl fut aussitôt écrasée par la colère de son hôte. Enfermé au plus profond du corps de l'empereur, le fils de Magnus subit ce qui représente la plus grande hantise des Possédés : la tourmente d'un esprit soumis.
Nephyl fut ainsi incapable de communiquer, pas même avec Ezéchiel. Il fut incapable de se mouvoir de lui-même, incapable de voir, sentir ou ressentir ce que l'enveloppe partagée pouvait vivre. Cette opposition naissante entre les deux volontés allait entraîner le corps de l'empereur vers les extrémités que jadis Samaël avait expérimenté : perte de pilosité, lividité du teint, sans parler de l'absence de sommeil ou de l'insatiable colère qui vont avec. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, le lieutenant faucheur piégé dans l'ancien précepteur de Nephyl ne se montra pas aussi sadique qu'Ezéchiel.
En soumettant l'esprit du sorcier, l'empereur-possédé cherchait à lire ses plus lointains souvenirs, à commencer par son enfance auprès de Magnus. Victime de son bourreau, Nephyl fut condamné à vivre et revivre en boucle les moments d'amour avec le père qu'il haïssait tant. Ça n'était alors que le début, car lorsqu'il comprit qu'il ne parvenait à rien soutirer du sorcier, Ezéchiel lui fit revivre les tortures propres à son séjour à Norr Giliath. Là encore, Nephyl refusa de se laisser définitivement dompter et l'empereur pesta de ne pas dénicher les secrets entourant celle que l'on appelait encore "Elle". Il ne lui restait donc qu'à écraser une bonne fois pour toute ce qui restait du prince déchu.
Ses pouvoirs décuplés depuis le rituel, certes avorté, avec le médaillon de Iudicael Luminarii, puis les rencontres avec Hesperias et le Prométhéen, Nephyl s'était découvert la capacité de transposer yeux et oreilles plus loin qu'il n'y était jamais parvenu, et ce sans s'en rendre compte. Cette faculté, qu'il expérimenta la première fois lors de la bataille de la Citadelle, l'effraya au plus haut point tant il ne savait la maîtriser, et surtout, tant elle lui montra des choses qu'il refusait de voir. Ezéchiel le força alors à voir.
Un à un, Nephyl fut contraint d'observer, inlassablement, la mort de tous ceux pour qui il avait pu ressentir une once d'affection. Il hurlait de rage face à la Purge des Invocateurs perpétrée par son père. Il croulait sous le poids de sa lâcheté d'avoir ainsi abandonné les enfants Umerare dont leur père, Yursan, soutenait leurs corps sans vie, criblés des balles et flèches des chefs Aidan Seylaw et Salsola Balsamea. Il tâchait de détourner les yeux lorsque ses fidèles spahis comme Varius se faisaient étripés par Sybëll Arrancar et Ezra Nerodeth. Il revoyait Jie de Mithrida, jeune et heureux enfant présenté à Magnus, avant de devenir ce sigillant qui criait de désespoir en ressentant la mort de sa douce Huan, ce pauvre homme qui se laissa tuer par la prothèse de Najib Srishan. Il était le spectateur de la déchéance de Dante, de son empoisonnement par Yuki jusqu'au coup fatal porté à Rishi. Il scrutait, impuissant, les morts de ses soldats envoyés à la Colline. Et surtout, il priait pour que les images de Sohl, gorge tranchée, et Samaël, pourfendu par le Conseil, cessent enfin de s'imposer à lui.
Toutes ces souffrances, il les ressentait au tréfond de son âme. Toutes ces peines, ces sensations de perdre celle que l'on aime, de perdre ses enfants, son frère ou sa sœur, elles lui arrachaient le cœur. Il en venait presque à regretter l'amour dont avait pu le gratifier son père. Il l'entendait lui réitérer sa confiance, comme les ultimes paroles de Yuki. Et ce fut là, au plus bas, que la garde de Nephyl se baissa, et qu'Ezéchiel put enfin comprendre qui était Nephtys et quels étaient ses projets.
Ironiquement, ce fut Azoraï Lyaren qui parvint à ramener l'empereur-possédé à la raison, après leur célèbre entretien avec le Gardien des Gardiens, Béhémoth. Sans cela, sans doute l'âme de Nephyl aurait-elle été définitivement broyée. Sans cela, le monde n'aurait pas pu échapper au Grand Effondrement.
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1. Grâce à l'intervention de l'ancien soldat mage de Nephyl, Kanô, qui généra deux portails : un pour Luminaria, l'autre pour la Citadelle.
2. Difficile de dire si la capture de Nihel Scavar faisait partie d'un plan minutieux élaboré par Nephtys. On connaît en effet l'intérêt de la divinité pour la jeune nécromancienne, puisque, tout comme le Fossoyeur, Nephtys était à ce moment-là convaincue qu'elle était la créature dont faisaient référence les légendes faucheurs. Nihel Scavar était, à leurs yeux, celle qui sauverait le peuple de la Fosse.
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La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers
FantasyDes siècles avant les événements relatés dans la saga "La Colline", un jeune sorcier avait révolutionné les Profondeurs, tout comme son fils allait le faire après lui. Le Mythe des Deux Sorciers est une double biographie consacrée aux vies de Magnus...