Part.II - 6.2 : L'heure des vérités

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Magnus le savait, Samaël était un bon précepteur et éduquer le prince était une tâche ardue. Le renvoyer ne lui plaisait pas, mais il n'avait pas le choix. Après le possédé, après l'Ombrescence, l'empereur savait qu'il lui restait un dernier être à confronter. C'était là la discussion qu'il redoutait le plus.

Vincere s'étonna de l'invitation de son père. En dehors de l'esprit d'Ulsia, le prince ne s'était plus rendu dans les appartements de Magnus depuis trop longtemps. L'empereur n'ayant pas avisé ses conseillers de ses intentions, archidémons et arcanistes considérèrent cet entretien avec autant de soulagement que de crainte.

Longtemps, les détails de cet échange figurèrent parmi les secrets les mieux gardés des deux sorciers, l'un comme l'autre ayant pris soin de priver leurs Mémoires de cette confrontation historique. Ce n'est que très récemment que l'Être Originel Nephyl confia à la postérité le déroulement de cette soirée.

Silencieux, méfiant, Vincere observait son père, debout devant la baie vitrée, scrutant l'horizon sombre des Profondeurs. Ni l'un ni l'autre ne dit mot et ce pendant d'interminables secondes. Agacé, craignant de se voir une nouvelle fois critiquer, le prince tenta de s'insinuer, pour la toute première fois, dans l'esprit de son père. Il se heurta à une résistance psychique tel qu'il tomba à la renverse.

— C'est l'unique fois que tu te permets de faire ça avec moi, Vincere, tonna Magnus d'une voix posée. Que je ne te prenne plus à recourir à ce genre de talents avec qui que ce soit. Me suis-je bien fait comprendre ?

Gronder comme l'enfant qu'il était, Vincere pesta et se redressa sans répondre.

— J'ai failli, mon fils, reprit l'empereur.

Le visage du prince illustra sa surprise face à de telles paroles.

— Voilà bien trop longtemps que mon nom comme ma réputation sont synonymes de faiblesse et de décadence.

— Tu admets enfin avoir fait le mauvais choix en épargnant les Humains ?

— Les Humains ne se réduisent pas à la Colline, tu devrais le savoir. Et non, je ne regrette pas cette décision. Je faisais plutôt allusion à l'Ombrescence, à Ekras, aux Collecteurs, à Samaël, ... et à toi. Je vous ai laissé agir à votre guise, et vous en avez profité. Toi, mon fils, tu as dépassé les bornes, acheva Magnus en se retournant.

Nouveau long silence gênant.

— J'aurais dû être plus présent pour toi, j'aurais dû te réserver autant de temps qu'à mes fonctions, bien plus même...

— Tu avais déjà Ulsia, et maintenant ta petite Yuki, cracha le prince.

— Tu sais bien que c'est tout à fait différent. Je sais que tu m'en veux pour ma réaction dans la serre botanique et je te réitère mes excuses, mais ça ne justifie en rien d'avoir volé le manuscrit de Manès, ou de t'être rapproché des détenus de nos geôles.

— Alors tu reconnais que nous nous trouvons dans une impasse.

— Je reconnais que nous devons prendre un nouveau départ.

— Ça ne sera pas simple, lâcha Vincere.

— C'est pour cela que je m'apprête à te révéler quelque chose d'important, quelque chose que je craignais de te dire depuis ta naissance. Ta mère n'est pas ombrescente, ni issue d'une quelconque manière des Profondeurs. Ta mère... est Nephee, la déesse de lumière. Je l'ai rencontré lors de mon premier séjour à la Surface, et l'ai retrouvé quelques années plus tard. Le jour de ta naissance, elle t'a prédit un destin immense, un destin grandiose que Béhémoth m'a confirmé par la suite. C'est pour te préserver de cet avenir, ainsi que de la haine que beaucoup des nôtres ressentent envers l'Aíę Ahlbå que j'ai préféré ne rien révéler à personne.

L'empereur crut bon de s'interrompre quelques instants tant son fils semblait égaré.

— Tu mens.

— Je t'assure que non, lança Magnus.

— Personne n'était au courant ? Tu es sûr ? Pas même ta douce divinatrice ?

— Tu... tu le savais...

Vincere avait en effet appris quelques mois plus tôt le lourd secret que lui dissimulait son père. En fouillant les souvenirs d'Ulsia, il avait réussi à découvrir la vérité, et de voir que la vieille femme savait, contrairement à lui, le propre fils de Magnus, ça l'avait anéanti.

— Je te promets que je n'ai jamais rien divulgué à Ulsia, c'est elle qui a...

— Pourquoi est-elle partie ? demanda soudain le prince dans un murmure. Pourquoi m'a-t-elle abandonné ?

— Parce que ta mère étant immortelle, je crois qu'elle refusait de nous voir grandir, vieillir puis mourir. C'était au-delà de ses forces.

Le prince se tut une fois encore, avant de chuchoter :

— Avec elle non plus, tu n'as pas été à la hauteur...

— Si j'avais pu la garder auprès de nous, j'aurais tout fait, crois-moi.

— Justement, j'ai du mal à y croire. Tout ce que tu entreprends, tu le rates. Regarde les Humains...

— Je comptais aussi aborder ce sujet, coupa Magnus. L'Ombrescence enfin calmée, je te préviens que je m'apprête à nouer l'alliance dont la Citadelle a besoin avec la Colline.

— Je te demande pardon ? lâcha le prince, incrédule.

— Aegidius Luminarii devra répondre de ce qu'il s'est passé en 401, mais il est sage et nous devons nous lier aux factions de leur promontoire.

— En faisant ça, tu tues les Chimères une deuxième fois...

— Je ne requiers pas ton approbation.

— Tu ne l'auras jamais, et si tu fais ça, alors crois-moi, jamais nos rapports ne connaîtront une amélioration. A toi de choisir : la Colline, ou ton fils.

Le silence fut la réponse de Magnus. Hors de lui, Vincere fit voler la porte de l'appartement en éclat, puis disparut dans les couloirs du palais en criant une menace qui glaça le sang de tous ceux qui l'entendirent : "Allie-toi avec ces chiens, et j'arracherais le cœur que tu n'as pas dans la poitrine !". 

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant