Part.IV - 1.1 : Le nouvel empereur

1 0 0
                                    

Assis sur ce trône, au fond de cette vaste salle où son père aimait autrefois accueillir ses éminents invités, Nephyl peinait à demeurer stoïque. Le fauteuil n'était pourtant pas inconfortable. Sans doute le spectre de Magnus avait-il déjà commencé à le hanter. Les incessantes gesticulations du jeune ombrescent alimentaient son agacement, contrairement à Yuki qui s'amusait du comique de la situation.

De retrouver la divinatrice dans de telles conditions perturbait le sorcier. Elle, qu'il pensait aussi fidèle que sa grand-mère Ulsia, avait mené Magnus à sa perte. Magnus était bel et bien mort. Nephyl peinait encore à le concevoir, mais il ne s'en émouvait pas. Ses craintes concernaient surtout Yuki, et notamment le fait qu'il ne parvenait plus à pénétrer dans son esprit afin d'y débusquer les motivations d'une telle traîtrise. Elle ne se cacha derrière aucun mensonge : "La magie de votre prédécesseur vous obstruera désormais la lecture de mes pensées".

Le nouveau souverain se rassura en fouinant dans les souvenirs de ses autres soldats, et notamment ceux de Dante. Lui, il le savait, représentait une arme à la loyauté incontestable. La haine qu'il vouait pour la Colline rendait honneur aux considérations de Nephyl. Lui méritait ainsi d'être un conseiller vers qui se tourner. Quand l'empereur lui demanda ce qu'il pensait des motivations de Yuki, le chambellan répondit : "J'ignore qui elle est, j'ignore ce qu'elle désire, mais ce que je sais, c'est que c'est elle qui nous a tous recruté, elle qui vous à permis de vous évader, elle qui vous a offert votre revanche". En dépit de toute sa méfiance, le sorcier dut reconnaître que la vieille divinatrice avait fait ses preuves.

Yuki, nous le savons, était alors mue par les forces titanesques qui régissent les trois domaines. Elle savait que Magnus devait mourir pour que son fils puisse régner et, surtout, marcher vers le destin qui lui était promis. Elle, de son côté, n'en demeurait pas moins fortement attristée par les morts qu'elle avait essaimés derrière elle, les sacrifices de toutes ces créatures qu'elle avait appris à aimer au cours d'une vie passée à la Citadelle.

Pourtant, ce jour où Nephyl s'installa sur le trône, elle afficha un visage serein, celui d'une femme qui ne pouvait plus reculé, et qui irait jusqu'au bout. Et le sourire qui tirait ses joues ridées n'était pas au goût de son nouveau maître.

— Arrête ça tout de suite, gronda le sorcier.

— Tu t'impatientes, rétorqua-t-elle.

— Tu vas commencer par réapprendre le respect et me vouvoyer, vieille femme.

— Vous vous impatientez, répéta-t-elle, las.

Les heures filaient les unes après les autres sans que rien ne se passe au palais, et ça n'était pas au goût de Nephyl. Pas du tout, même.

L'annonce de la mort de Magnus avait déjà filé dans tout l'empire et partout on lui rendait hommage, quand on ne le pleurait pas ostensiblement. Aussi Nephyl n'avait pas attendu pour convoquer les délégations ombrescentes afin de les mettre au pas sans attendre. Il avait beau attendre, aucune ne semblait venir.

— Ils ne me respectent pas... grommela-t-il. Ils ne me respectent pas alors que j'ai récupéré le pouvoir comme le veut la coutume de l'Ombrescence...

— Vous les avez privés de leur bienfaiteur, de leur pacificateur, quoi que vous pouvez en penser. Magnus était aimé. Plus qu'un souverain, il était un symbole.

— Même si je ne peux plus lire dans ton esprit, j'entends ton rire intérieur me briser les oreilles, Yuki.

— C'est pour cela que les humains apprennent à garder leur langue parfois.

— Cesse ! Dis-moi plutôt si cela sert à quelque chose d'attendre les délégations au lieu de me faire attendre pour rien.

— Aucune ne viendra.

— Tu n'aurais pas pu me le dire plus tôt ? s'exaspéra-t-il.

— Disons que l'occasion était trop belle, et que je peux me permettre cette petite facétie étant donné l'aide que je vous ai apportée.

— Si je n'étais pas de bonne humeur depuis la mort de mon prédécesseur, je te l'aurais sans doute fait payer. Tu ferais mieux de me dire ce qui m'attends maintenant.

— Ce qui vous attends ? s'étonna-t-elle.

— Tu ne me feras pas croire que tu n'as pas une idée derrière la tête. Tu as vu mon avenir, je me trompe ?

— Je sais simplement que vous deviez accéder au trône. Si vous me demandez vraiment quelles devraient être vos priorités, j'imagine que surveiller vos deux compagnons de route représente un bon début. Mais ça, pas besoin d'être divinatrice pour le deviner. Tout le monde ici s'en est rendu compte.

Samaël et Sohl, il est vrai, ne semblaient pas "guérir" des blessures invisibles dont Nor Giliath les avait gratifié. Le possédé reprenait en carrure, certes, mais il était plus obscur que jamais. Il ne parlait pas, se contentait de grogner, et assassinait du regard quiconque osait se dresser sur sa route. L'invocateur, lui, avait viré dans la schizophrénie. Les émotions les plus contradictoires pouvaient le submerger à tout instant, et ses hurlements devinrent la norme dans les corridors du palais. Les partisans plus "posés", comme Jie et Huan de Mithrida, Ryotaro de Febehl ou les spahis de Norr Giliath, eux, s'illustraient par leur discrétion et leur savoir-vivre.

Nephyl le savait, il ne pouvait espérer atteindre ses objectifs sans Samaël et Sohl, et ce malgré les talentueux partisans qu'on avait réuni à ses côtés.

Ils étaient tous là, dans la salle du trône à le dévisager comme le sauveur, le guide qu'ils avaient tant attendu. Perdu dans ses pensées, les mots qu'on lui adressait ne trouvaient pas de sens à ses oreilles. Il fallut d'abord qu'il s'extirpe de sa réflexion, constatant que tous les regards s'étaient braqués sur lui, notamment celui de l'étrange mage, Yoheï. Incertain, le lyriste se tourna vers la divinatrice qui l'invita à répéter.

— Eh bien, qu'y a-t-il ? s'impatienta Nephyl.

— Le Généalogiste, répondit Yoheï. Nous avons retrouvé sa trace. 

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant