Intrigué par les dernières paroles de Béhémoth, Magnus passa les semaines suivantes à ruminer à l'abri des regards dans sa Citadelle. Il avait ordonné au Profanateur de rester à ses côtés, au palais, et de savoir le Fossoyeur s'occuper de cette ombre l'avait étrangement rassuré. Bien-sûr, que le faucheur se promène ainsi dans son empire ne le réjouissait pas, et de nouvelles critiques allaient sans doute émerger, mais ça lui faisait un problème de moins à gérer et pas des moindres. Qui plus est, le gouvernement demandait toute son attention.
Clamer haut et fort que Nímaira avait survécu ne provoqua pas l'effet escompté : on le taxa de mensonge, de chercher à se disculper, de ne pas assumer son amour pour les Hommes. Jamais le sentiment antihumain n'avait été aussi fort dans l'empire, et Magnus savait qu'il devrait dès lors se montrer plus que prudent.
Il confia d'abord à Guido la mission secrète d'assurer la sécurité des Nécromanciens, dans le Bois Maudit. Au sein des Profondeurs, ils représentaient les cibles les plus simples à atteindre pour venger les Chimères. De même, le Profanateur, libéré de ses obligations, se vit assigner une mission qui allait lui déplaire : protéger Ulsia, où qu'elle puisse aller. Pendant quelques années, Magnus dut se contraindre à abandonner sa thèse sur les Descendants, à contrecœur. Et pour ce qui est de la Colline, il tira un trait final sur ses projets d'alliance.
"A peu de choses près, il n'y avait plus rien d'humain dans l'empire de Magnus. Et c'était là tout ce que l'on demandait" écrivit l'Apocryphe.
Bien que cela l'emplissait de remords et de chagrin, très vite, Magnus dut focaliser son attention sur de nouveaux problèmes.
L'impopularité de sa décision avait fait naître un élan de contestation sans précédent contre l'empereur, à toutes les échelles. Ses proches, les représentants ombrescents, nombreux étaient ceux à élever la voix contre Magnus. Il en allait de même au sein de la populace. Aussi, on constate à ce moment du règne du sorcier une hausse flagrante de l'insécurité dans l'empire.
Sans entrer dans les détails de l'augmentation du nombre de révoltes, de manifestations ou de pamphlets anti-Magnus, l'empire, en ce début du cinquième siècle, souffrait de deux grandes menaces.
La première crise majeure qui vint troubler l'empereur fut symptomatique de ce mouvement de défiance qui montait en force. Les critiques s'élevèrent au sein de tous les peuples de l'Ombre, mais les Asuras, bien plus que les autres, connurent une véritable scission.
On estime que près de soixante-dix pourcents des Asuras demeurèrent fidèles à l'empereur, et ce même s'ils pouvaient ressentir de la déception après les annonces concernant la Colline. Akuma demeurait le chef de file de cette mouvance pro-empereur, et il était courant de le voir partir dans certaines colonies pour débattre, parfois physiquement, avec les contestataires. Le reste de son peuple, en revanche, affichait clairement son envie de voir une créature "plus forte" s'asseoir sur le trône.
Le meneur de ce mouvement de révolte, Ekras, était un proche de l'archidémon Akuma, responsable des colonies du Nord, comme celles chargées de surveiller Ness-Terath¹. Conscient de l'ébullition au Nord, Magnus refusa qu'Akuma parte à la rencontre d'Ekras seul. Il demanda ainsi à Deep de l'accompagner, mais aussi au Pénitent et à l'Apocryphe. Akuma s'en alla aussi avec sa garde personnelle, en armure.
Il résulta de la rencontre entre Ekras et le groupe de l'empereur une confrontation des plus brutales au cours de laquelle de nombreux asuras tombèrent. Les deux arcanistes emprisonnèrent des centaines de contestataires avant que l'empereur, lui-même, ne vienne sur place. Magnus eut immédiatement conscience de la délicatesse de la situation.
Après avoir refusé de punir les humains, se montrer trop virulents avec ses opposants ombrescents risquait de lui jouer des tours. Il se contenta de bannir les contestataires, à la seule exception d'Ekras, qui fut envoyé à Norr Giliath dans les jours qui suivirent. Sa provocation ne serait pourtant pas la dernière.
La seconde grosse menace qui plana sur l'empire interviendra quelques années plus tard, lorsqu'un sombre groupuscule profita de la fragilité impériale. Depuis l'affaire Ekras, en effet, Magnus devait ménager ses ombrescents et certains ont pu voir en cela une autre faille qu'il fallait exploiter. Les Collecteurs étaient de ceux-là.
Les Collecteurs étaient un groupe de malfrats possédés réputés pour leur irrespect des coutumes de leur propre peuple. La vingtaine de membres qui composait le groupe était connue pour traquer les êtres les plus puissants des Profondeurs afin de s'approprier leurs pouvoirs, en emprisonnant leurs âmes dans leurs corps.
La traque des Collecteurs fut confiée au Généalogiste, à Deep et à Abaddon. Elle représenta l'un des plus gros échecs du règne de Magnus car, en un peu plus d'un siècle, l'empereur et ses proches ne parvinrent à capturer aucun membre de la mystérieuse équipe. Nouvelle critique adressée à Magnus : lui qui jadis avait mis un terme à la menace des Invocateurs, il était aujourd'hui incapable de mater un groupe de rebelles possédés. Chaque disparition, chaque agression dans l'empire était dès lors imputée aux Collecteurs, et représentait un nouvel instant délicat pour Magnus.
La plus grande opposition que l'empereur dut appréhender fut pourtant bien différente d'Ekras ou des Collecteurs. Une crise politique sans précédent allait bientôt éclater.
________________________________________________________________________________
1. Détail important, car de récentes études ont souligné le fait que les colonies les plus proches de l'ancienne capitale invocatrice étaient les plus féroces opposantes à l'empereur. Nous savons aujourd'hui que l'ombre en était en grande partie responsable.
VOUS LISEZ
La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers
FantasyDes siècles avant les événements relatés dans la saga "La Colline", un jeune sorcier avait révolutionné les Profondeurs, tout comme son fils allait le faire après lui. Le Mythe des Deux Sorciers est une double biographie consacrée aux vies de Magnus...
