La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers

Part.I - 6.3 : Le temple

Magnus pouvant désormais se déplacer dans l'empire grâce aux portails qu'il pouvait générer, il fit son retour, non pas dans les salles animées de la Citadelle, mais au plus profond des cachots, là où il ne serait pas dérangé. Un cruel dilemme moral le tiraillait alors.

Devait-il informer ses conseillers de ce qu'il avait découvert à Ness-Terath ? Cette ombre avait en effet pris soin d'esseuler l'empereur afin de s'entretenir avec lui. C'était Magnus sa cible, seulement lui. Aussi elle semblait ne pas représenter une menace pour les autres. Rendre public l'existence d'une telle "chose" pourrait représenter un danger pour les siens.

Cependant, pouvait-il ainsi dissimuler les raisons de la disparition de l'arcaniste dont il tenait la dépouille sur les bras ? Comment le justifierait-il aux autres ? Cette ombre devenait de fait sa priorité, mais devait-elle obnubilé tout l'empire pour autant ?

Magnus demeura ainsi, immobile, de longues minutes durant, au cœur des prisons sales, humides et froides de son palais, avant de prendre une décision. Il déposa alors le corps du Blasphémateur sur les dalles au sol, puis l'enfonça en terre avec délicatesse en façonnant un tombeau dont aucune trace ne signalerait la présence.

Au-delà du maître, le sorcier perdait un ami, un être qu'il avait en admiration et pour qui il nourrissait un respect immense. Le Blasphémateur fut sans aucun doute celui qui, parmi les nombreuses créatures qui eurent l'honneur de côtoyer l'empereur, osa le plus faire savoir ses désaccords à son maître. Et cette franchise qui avait parfois pu lui attirer les foudres manquerait longtemps à Magnus. Sa colère fut grande et son poing frissonna de fureur, pourtant, le souverain sut se contenir. Il prit alors une grande inspiration, invoqua un nouveau portail, et s'en alla loin, bien loin dans les Cendres.

Le vent vociférait dans le Désert Noir, comme à son habitude. Sa magie le protégeant, les yeux de Magnus se fermaient légèrement par réflexe, tout en dévisageant l'édifice monumental qui se dressait sous ses yeux : l'ancien temple de Lucis. Il connaissait l'endroit, il avait emprunté le passage pour rallier la Surface, pour la toute première fois de son existence.

Il s'enfonça alors dans le dédale du bâtiment, quittant le chemin menant à l'autre domaine pour gagner les parties les plus méconnues de l'endroit.

Magnus n'avait jamais pris la peine de considérer ce temple avec plus d'intérêt, ce qui lui parut alors comme une erreur grossière. L'édifice représentait un panthéon du savoir des Trois, de l'Équilibre, et l'empereur regretta de ne pas avoir passé plus de temps à étudier en ces murs. L'heure n'était pas à l'érudition, mais il ne se priva pas de dévisager quelques peintures murales.

Dans les tréfonds du temple, l'une d'elles l'interpella notamment.

Il y avait là trois grands arbres généalogiques de représentés, chacun faisant référence à un domaine. Magnus s'attarda aussitôt sur les Douze Êtres Originels représentés, et notamment Thormir, l'Ombre de Phrone... et bien évidemment Nephee.

Nephee, la chose qui se terrait dans Ness-Terath avait parlé d'elle en des termes bien étranges. "Dépositaire", "Charge", ce que cela pouvait bien vouloir signifier, Magnus l'ignorait.

— Curieux, n'est-ce pas ? s'éleva soudain une voix.

Assis dans les ténèbres, un mage sensiblement plus vieux que Magnus scrutait son interlocuteur d'un regard perçant. L'empereur ne ressentit pourtant aucune crainte en sa présence.

— "Curieux" ? répéta Magnus.

— Ces dieux qui abandonnent leur devoir et lèguent leurs missions à d'autres. L'Équilibre ne fonctionne pas ainsi. "Douze Dépositaires il doit toujours y avoir", voilà ce que me martelait mon maître jadis. Et observez, ajouta-t-il en lui indiquant les peintures, Thormir, l'Ombre de Phrone, et même Nephee...

— Vous semblez savoir beaucoup de choses, vous pourriez m'être utile. Dites-moi qui vous êtes et je vous dirais qui je suis.

— A quoi bon ? Je sais qui vous êtes, Magnus, et vous savez déjà qui je suis.

— Alors j'ai beaucoup de chance de vous avoir trouvé aussi rapidement.

— J'ai senti votre présence, et je connais bien l'un de vos arcanistes. Je ne prends pas beaucoup de risques en me présentant à vous.

— Ce pourrait-il que cet arcaniste fut aussi votre maître ?

— "Fut" ?

— Je suis désolé, mais le Blasphémateur est mort, et j'ai besoin de découvrir pourquoi. Seriez-vous prêt à m'aider ? Seriez-vous prêt à enquêter pour moi, et m'épauler dans la traque secrète de ce qui la vaincu ?

— Secrète ?

— Personne ne doit savoir, personne ne doit jamais savoir qu'il est mort, et pourquoi. Seriez-vous prêt à me faire confiance, Profanateur ?

Ce fut ainsi que le Profanateur devint le nouvel arcaniste de Magnus.

La disparition du Blasphémateur fut cachée derrière une fausse mission spéciale, une piètre explication qui ne bernait qu'à moitié les proches de l'empereur. Ordonnant à Akuma de le tenir au courant de ces fameuses rumeurs à propos de l'ombre, Magnus orienta son attention vers celle qui l'obsédait plus encore, la mystérieuse créature lumineuse du Primo Bosco dont il avait, semblait-il, percé l'identité.

En 332, l'empereur partit à Hesperias dans l'espoir d'y retrouver Nephee. Il ignorait alors à quel point ce voyage allait bouleverser sa vie, ainsi que le cours de l'Histoire.