Hiver 332.
Chaque pensée de Magnus était destinée à ombre ou lumière. L'ombre, qui l'avait privé de l'un de ses maîtres arcanistes, il l'avait confié à la surveillance d'Akuma et à la traque du jeune et mystérieux Profanateur. La lumière, celle-là même qui l'obsédait tant, il comptait bien la retrouver.
Magnus avait ainsi quitté son empire afin de poursuivre, pensait-on, ses ambitieux projets diplomatiques avec la Colline. Ce nouveau voyage, en dépit des contestations les plus vivaces, il le fit seul. Il est vrai que ses archidémons comme ses arcanistes croulaient alors sous le poids des différents chantiers entamés. L'unique raison qui lui permit de partir en solitaire fut que, aux yeux de ses proches, aucune créature ne pouvait menacer l'existence de leur empereur. Il y avait pourtant bel et bien une créature qui pouvait lui nuire, mais ça, Magnus s'était bien gardé de l'ébruiter. Quoi qu'il en soit, ce fut seul qu'il voyagea en direction de la forêt sacrée de la Surface.
Pour cela, il traversa ses terres aussi discrètement que possible, plongea puis remonta le Vastazul avant de rallier les routes menant à la Colline depuis les plaines de l'Ouest. Armé d'un optimisme et d'une détermination à toute épreuve, il accordait en réalité à son itinéraire une toute autre destination : Hesperias.
Nul besoin de revenir sur la passion que Magnus avait éprouvée à la vue du jardin de légende, et, surtout, à l'être de lumière qu'il y avait aperçu. Accueilli par la Faune, surveillé par les Animaliers, l'empereur s'enfonça bientôt dans le Primo Bosco jusqu'à y retrouver l'objet de ses rêves.
Dans ses Mémoires, Magnus n'est pas avare de détails, bien au contraire. Les consulter nous permet de voir, ressentir même, les plus grands épisodes de sa vie. Seul Hesperias et quelques événements de la vie de son fils (et donc notamment sa naissance) demeurent les moins documentés.
Voici ce que nous en savons.
Au comble du bonheur et de l'excitation, l'empereur passa des jours à observer, étudier, admirer l'ensemble des plantes que recèle le jardin. Il tenta d'établir une communication avec les bêtes qui s'y étaient réfugiées. Il prit d'innombrable notes quant aux fleurs, fruits et arbres qu'il analysait avec une précaution à faire pâlir les scribes de Monastyr. Et, comme s'il avait passé un test avec brio, la récompense fut à la hauteur du respect dont il témoignait pour ce lieu mythique.
Magnus fut aveuglé par cette même lumière qu'il avait rencontré la fois précédente.
"Nulle parole ne fut requise" dit-il de cet instant. "Car si l'Homme vit son amour à travers l'exaltation et la passion, moi, je ne pus ni dire ni réagir. Ce moment allait rester gravé, je le savais déjà, et aucun qualificatif ne saurait jamais rendre grâce à ce que cet être avait fait naître en moi".
A en croire Magnus, il n'y eut pas de conversation entre Nephee et lui, mais une évidence. Aucun détail, non plus, ne nous a été rapporté quant à la conception de leur enfant. On dit de Nephee qu'elle enfanta Hesperias, Iudicael Luminarii et ses Gardiens de la même manière : une matérialisation de l'amour qu'elle ressentait pour un être. Le Primo Bosco avait ainsi été le premier à mériter cet honneur, avant les cinq chimères ayant été changées en Gardiens, puis Athanasius Luminarii.
Ce jour-là, Magnus fut lui aussi digne de cet amour.
Nombreuses demeurent cependant les rumeurs et spéculations relatives à cet épisode. Ce dont nous avons la certitude, comme ont pu le confirmer des rapports animaliers, c'est qu'en ressortant d'Hesperias, l'empereur ne poursuivit pas son voyage vers la Colline et repartit sans attendre en direction des côtes. Il s'en alla en hâte, mais surtout, il s'en alla accompagné.
A la Citadelle, son inattendu retour comme la panique qu'exprimait son visage provoquèrent la plus vive des inquiétudes parmi ses conseillers. Muet, il se refusa à donner des explications. Pendant plus d'un mois, il se mura dans ses appartements, ne faisant appel qu'à quelques servantes auxquelles il avait imposé la confidentialité. Car ce que les Animaliers n'avaient su identifier, ce qui avait quitté Hesperias avec l'empereur n'était nul autre qu'un bébé.
De longs jours durant, seule une maigre poignée de domestiques à qui il demandait de s'assurer de la bonne santé du nouveau-né était au courant. Les premières sorcières qui eurent le privilège d'observer le nourrisson furent unanimes. Comme le résuma très bien l'une d'elles :
"Ombre et Lumière composent cet enfant, et jamais créature ne fut doté d'autant de pouvoir".
Ce que Magnus prit pour un compliment relevait en réalité bien plus de la mise en garde.
Ombre, ça ne faisait aucun doute. Le bambin avait la peau pâle et déjà quelques cheveux bruns sur le crâne. De petits yeux émeraudes, qui contrastaient avec les iris parfois rubis de son père, illuminaient son regard comme son visage. La lumière, Magnus la ressentait dans son cœur, comme si une part de Nephee l'accompagnait désormais. Qui plus est, de voir que les pleurs du nouveau-né prenaient fin aussitôt qu'il le prenait dans les bras emplissait l'empereur d'un sentiment de plénitude indescriptible.
Ce n'est qu'une fois convaincu de la bonne santé de son fils qu'il s'autorisa à officialiser cette soudaine venue au monde.
Les minutes impériales qui rendent compte des propos tenus lors du conseil suivant soulignent la vive inquiétude des archidémons quant à l'état de santé de leur seigneur. Celui-ci leur paraissait ailleurs, perdu et presque affaibli. Sans doute poussé par un excès de prudence, Magnus conserva le secret encore quelque temps.
Il leur fallut patienter quatre séances plus tard avant que l'empereur ne leur en donne l'explication, et ce en leur présentant le bébé endormi dans un linge.
"Vénérables arcanistes. Mes chers archidémons. Voici Vincere, mon fils."
Inutile de préciser l'émotion suscitée après une telle annonce, ni l'enthousiasme qui gagna bien vite l'ensemble de l'empire. Un mois de fête ininterrompue fut ainsi donné en l'honneur de l'héritier sorcier de Magnus le Grand. La cour de la Citadelle reçut nombre de délégations ombrescentes apportant nombre de présents au prince. Banquets, bals, joutes amicales, les festivités emplirent toutes les Profondeurs de joie, ou presque.
Les cinq Arcanistes, nous rapportent là encore les minutes, se montrèrent les plus dubitatifs. Contrairement à l'Ombrescence, ils se demandaient, eux, comment cet enfant avait bien pu venir au monde, et qui pouvait bien en être la mère. Mais surtout, il y avait autre chose, bien plus préoccupant selon ces sorciers. Depuis la disparition du Blasphémateur, ce fut l'Héliaste qui s'illustra par sa franchise. Plus encore que les autres, il mit en garde son altesse par une phrase restée célèbre : "Il y a du chaos en cet enfant."
Les cinq arcanistes comme les archidémons n'en sauraient pas plus, à l'exception du Généalogiste, bien des années plus tard. Nous, en revanche, avons connaissance des mystérieux événements du Primo Bosco. Nephee s'était uni à Magnus en lui donnant un héritier : Vincere. De cet épisode, pourtant, jamais l'empereur n'en dira rien à personne.
Des toutes ces émotions suscitées par sa naissance, Vincere ne se souvient que des exultations de joies et de quelques scènes du mois de fête donné en son honneur. Ils représentent là les souvenirs les plus lointains que sa mémoire ait pu stocker. D'heureux souvenirs.

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La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers
FantasyDes siècles avant les événements relatés dans la saga "La Colline", un jeune sorcier avait révolutionné les Profondeurs, tout comme son fils allait le faire après lui. Le Mythe des Deux Sorciers est une double biographie consacrée aux vies de Magnus...