Part.III - 1.2 : Le grain de sable dans les rouages

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De retour au palais, Vincere devait chaque jour concentrer l'ensemble de ses forces pour ne pas frapper son père au visage, aussi il tâcha de ne jamais mentionner ni penser à l'alliance de 431. Il prenait de même un immense soin à oublier les Humains, sans quoi la rage pouvait vite l'embraser. Pour cela, il évita autant que possible de côtoyer ou même croiser Yuki, devenue une femme accomplie aux pouvoirs, il devait le reconnaître, impressionnants. La divinatrice, malgré ses regards hostiles, ne représentait pas la pire menace aux yeux du prince. Cette dernière fit son entrée à la Citadelle en 476, parée du prestigieux titre d'ambassadeur.

Accueillir un autre humain, qui plus est originaire de la Colline, n'enchantait évidemment pas Vincere. Depuis ses appartements, il guetta l'arrivée de cette fameuse épéiste dont les lettres d'Aegidius vantaient les mérites. La méfiance du prince fut multipliée dès l'instant où il croisa le regard de l'ambassadrice.

Ælisia Lyaren n'était alors âgée que de vingt ans, bien trop jeune au goût de Vincere. Alors qu'elle progressait le long de la cour d'honneur, il ne put pourtant se retenir de fouiller subrepticement ses pensées. Les intentions de l'épéiste lui apparurent bien obscures, aussi sa curiosité fut aussitôt ravivée. Il s'empressa donc de gagner la salle de réunion prévue pour l'accueillir afin de ne rien manquer.

Magnus s'étonna de la présence de son fils, comme ses conseillers, mais ils ne le congédièrent pas. Après tant d'années d'attente, la venue de l'ambassadrice concentrait toute leur attention. Escortée par Akuma et Deep, Ælisia fut amenée devant le trône impérial. Elle s'inclina avec beaucoup de respect.

— Votre grandeur.

— Soyez la bienvenue à la Citadelle, ambassadrice, s'exclama l'empereur. Je ne vous cache pas que je m'attendais à quelqu'un de plus...

— Âgé ? lâcha l'épéiste avec un petit rictus amusé.

Là où Aegidius aurait sûrement reprit cette indélicatesse, Magnus, lui, sourit en retour.

— Disons expérimenté.

— Je me languis de vous prouver que l'âge ne fait pas l'expérience, empereur. On m'a souvent conté les exploits d'un jeune sorcier, inexpérimenté, qui défit une armée d'Invocateurs.

Abaddon retint un rire étouffé. Le reste de l'audience demeurait suspicieux, Vincere, adossé à un mur dans l'ombre, le premier.

— Vous avez des talents d'oratrice, ce qui sied à votre fonction, dit le Grand. En tant que représentante d'Aegidius, vous et moi serons amenés à converser des choses importantes, secrètes, aussi la confiance nous sera indispensable. Je ne peux donc m'empêcher de vous poser une question, ambassadrice... Qui êtes-vous ?

— Mes origines sont modestes, votre altesse. Je ne suis qu'une épéiste de Basikaï qui a beaucoup travaillé et sacrifié pour atteindre le poste que j'occupe actuellement.

— Une épéiste sans nom.

Le ton de l'empereur se voulait soudain plus sévère.

— Je n'ai jamais connu mes parents. J'ai été élevé par les institutions de Basikaï et la Colline. En un sens, sa majesté Aegidius m'a élevé.

Il y eut alors des bruits de pas dans la pièce, des bruits qui imposèrent le silence à toutes les personnes réunies. Vincere, dont l'apparence lui donnait désormais le même âge que l'ambassadrice, s'avançait au centre de la salle sans la quitter de ses yeux perçants. Il s'immobilisa face à elle, et l'un et l'autre se dévisagèrent quelques instants comme deux bêtes prêtes à se bondir à la gorge.

— Un problème ? s'exclama finalement l'empereur.

Vincere soupira, puis se tourna vers son père.

— Elle te ment. J'imagine que Guido l'a déjà perçu, mais je me permets de l'annoncer à tout le monde. Elle te ment.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant