Part.III - 1.3 : La scission

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En dépit des interdictions formelles de Magnus, il arrivait à Vincere de retourner dans les geôles de la Citadelle afin d'y converser avec les Invocateurs. Quoi que le terme "Invocateur" soit impropre. Après tant d'années de captivité, il était bien difficile d'identifier ces détenus comme tels.

En effet, les hommes et femmes qui peinaient à survivre dans les prisons n'avaient jamais touché un manuscrit d'invocateur de leur vie, ils connaissaient peu leur héritage et leurs corps étaient aussi faibles que leur volonté. Il y avait toujours dans le prince cet esprit contradictoire envers ces prisonniers. Il les haïssait de par leur nature d'Humains, mais les plaignaient tout de même pour le calvaire que leur faisait subir son père.

Ainsi, il n'était pas inhabituel pour ces invocateurs de voir le prince les gratifier de sa présence, parfois avec un peu de nourriture volée dans les cuisines. Il lui arrivait aussi de choisir quelqu'un avec qui il conversait, plus ou moins longtemps, quand l'envie lui prenait. Samaël bien loin, il cherchait toujours une oreille vers qui se confier.

Au cours de l'année 479, Vincere s'installa sur les dalles froides et moites des cachots afin de parler avec une femme qui, semblait-elle, ne survivrait pas aux jours qui l'attendaient.

Cette femme était plus chétive encore que les autres. Une peau blême tapissait ses os et une vie de souffrance avait creusé son visage. Elle était adossée à l'un des barreaux de la cellule, le regard hagard, le souffle endolori, alors qu'elle donnait le sein à un nouveau-né. Jamais personne n'avait inspiré une telle pitié au prince qui, quelques instants, la dévisagea sans qu'elle ne réagisse. Animé d'un singulier élan de politesse, il entama la conversation :

— C'est le vôtre ? demanda-t-il en indiquant le bébé qui peinait à se nourrir.

Elle ne répondit pas.

— C'est un mâle, ou une femelle ?

Nouveau silence. Le prince se serait d'ordinaire fâché d'un tel affront, mais il n'insista pas. La Colline, Yuki, Ælisia, nombreux étaient ceux qui aspiraient son énergie et il ne se sentait pas d'alimenter une nouvelle colère. Il se contenta alors de tendre un morceau de pain à cette femme éreintée qui gisait devant lui. Elle refusa la nourriture.

— Vous devriez manger, reprit-il. Il vous faudra des forces, pour lui, ou elle.

Après quelques instants d'hésitations, elle murmura :

— Lui... C'est un petit garçon.

A mesure qu'elle prononçait un mot, les larmes lui mouillaient les yeux. Vincere l'observait, peiné à son tour.

— Vous devez manger, pour lui.

— Il ne survivra pas... lâcha-t-elle en sanglotant. Comme tous les autres avant lui...

— Les autres ? demanda le prince.

— Vous ne savez pas ce qu'on nous fait subir ici... dit-elle à voix basse. Vous ne savez pas ce qu'on fait aux femmes ici...

— Qui ? gronda le sorcier en tuant du regard les autres détenus.

— A quoi bon ? Nous mourrons tous ici, les uns après les autres, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun... Voilà ce qui l'attend, pleura-t-elle en regardant le bambin.

— J'aimerais vous aider... avoua Vincere.

— Nous aider ? Comment ? Vous avez autrefois ouvert les portes et les sorciers ont ramené les survivants dans les cellules...

— Cette fois, ça peut marcher, assura-t-il.

— Nous ne voulons pas que ça marche, rectifia-t-elle. Nous voulons mourir... C'est là la plus belle délivrance dont nous rêvons... Si j'en avais la force, si j'en avais le courage, je le...

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant