Part.II - 4.1 : L'appel du Gardien

4 0 0
                                    

Dès que Magnus eut rendu publique sa décision de ne pas attaquer les Humains, il reçut un message qui rarement dans sa vie lui glaça ainsi le sang. Endeuillé, esseulé, enfermé dans ses appartements, il vit son archidémon Guido traverser le mur, le regard brillant, la lanterne tremblante, avant de le prévenir d'une voix étrange : "Béhémoth vous attend dans le Bois Maudit".

L'empereur, au-delà de sa puissance et de sa stature, certes ébranlées, voyait à juste titre le Gardien des Gardiens comme l'une des plus sages créatures des trois domaines, l'une des plus puissantes aussi. Un torrent de questions le tourmenta dès lors.

Que pouvait bien cacher le Gardien derrière une telle convocation ? Béhémoth comptait-il destituer le sorcier ? Comptait-il lui faire part de son incompréhension face à sa décision plus que contestée ? Serait-il soumis à la tutelle d'un autre gardien ? Kraken ? Basilisk ? Titan peut-être ? D'innombrables interrogations firent craindre le pire à l'empereur.

Une chose était certaine, lorsque Magnus quitta la Citadelle avec Guido le jour suivant, il était terrorisé. Les possédés et sorciers qui les rencontrèrent s'inclinèrent avec moins de conviction. Les crieurs du Bois tâchèrent d'éviter de croiser leur route. L'empereur sentait à quel point son choix allait lui coûter.

Au plus noir du Bois Maudit, Guido s'enfonça dans la brume grisâtre, abandonnant son maître à des forces bien plus terribles. Ce fut ainsi que Magnus fit la rencontre du légendaire Béhémoth.

Depuis le brouillard, cette gargantuesque et obscure silhouette le dévisageait de toute sa hauteur, en silence. C'était alors le deuxième Être Originel que croisait le sorcier, et les sentiments qu'il lui inspirait différaient clairement de ceux de Nephee. Une voix caverneuse, étourdissante s'éleva alors :

— Vous avez fait le bon choix.

Incertain, Magnus hésitait entre le soulagement et la peur.

— Le bon choix ? répéta-t-il en tâchant de se donner de la consistance.

— De ne pas attaquer la Colline. Punir le promontoire ne menacerait en rien l'Équilibre, et enverrait un message des plus efficaces au reste du Monde. Bien-sûr. Mais vous empêtreriez les Profondeurs dans une guerre sans fin, une guerre plus sanguinaire que celle fomentée par Lior. Vous avez fait le bon choix.

— Que s'est-il passé ? La mort de la Reine-Mère aurait dû entraîner la fin des Temps.

— La peur et la soif de vengeance ont eu raison des Humains de la Colline. Ils ont tué la quasi-totalité des Chimères parties à la Surface. Nímaira a dû intervenir. Mais elle a survécu, elle, ainsi qu'une maigre quantité de sa progéniture. Le Grand Effondrement n'interviendra pas. Tout du moins, pas maintenant...

— Elle a survécu... Je dois en aviser l'Ombrescence.

A l'instant où sa phrase s'acheva, Magnus sentit un étrange frisson lui saisir l'échine. Dans l'épaisse brume apparut alors une seconde silhouette ténébreuse, haute, flottante dans les airs. Vêtu d'un tissu déchiré et armé d'une longue faux, un autre Être Originel se présentait au sorcier.

— Cette réunion concerne les Douze et nul autre. Ce n'est pas là le Dépositaire de la Charge de l'Ombre. Ce n'est là qu'un petit sorcier sur un trône de misère.

— Fossoyeur... pesta Magnus.

— Vous laissez donc votre peuple se faire massacrer sans sourciller. Quel étrange souverain vous faites.

— L'empereur a su faire preuve de clairvoyance, Fossoyeur, rétorqua Béhémoth. Je vous ai réuni ici pour vous assurer du maintien de l'Équilibre, tout comme de la survie de notre chère sœur chimère. Vous devez, l'un comme l'autre, assurer à votre tour la survie de tout enfant de Nímaira qui vivrait dans l'empire comme dans la Fosse. Les autres Gardiens sont déjà partis à leur recherche.

— Les Humains s'en sortiront donc indemnes ? s'étonna le Fossoyeur.

— Phrone ne nous a pas créés pour que nous fassions la guerre. Nous demeurerons sur nos gardes, attentifs aux héritiers de Thormir et à leurs agissements, mais nous ne les attaquerons pas. Qui plus est, je ressens quelque chose de bien plus préoccupant au sein de notre domaine.

Magnus sut aussitôt à quoi faisait allusion le Gardien.

— De quoi parlez-vous ? demanda le Fossoyeur.

— Une créature, sombre, dangereuse. Une créature que vous traquez il me semble, empereur.

— En effet, je l'ai rencontré à Ness-Terath, si c'est bien d'elle dont vous faites référence. L'un de mes arcanistes la chasse depuis plusieurs années.

— Un simple sorcier ne sera pas de taille face à cette chose, ni vous, empereur. Cet être qui perturbe les Profondeurs doit être pris en charge par une créature plus puissante encore.

Le Fossoyeur dressa alors sa faux d'un geste violent, comme s'il était prêt à se battre.

— Je vais me charger de ce gêneur, soyez-en sûrs.

Le faucheur s'évapora alors dans la brume du Bois Maudit, ce qui ne manqua pas de rassurer Magnus. La silhouette massive du Gardien disparut peu à peu à son tour.

— Qu'attendez-vous de moi ? s'exclama alors l'empereur.

— De vous ? Vous avez déjà rempli votre rôle, sorcier. L'heure arrivera bientôt où ce sera à votre héritier de remplir le sien... 

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant