Part.II - 3.2 : La divinatrice

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Lorsqu'elle quitta Rishi, Ulsia se contenta de dire aux siens qu'elle "quittait la Surface pour un autre domaine". Bien que très estimée représentante de sa faction, aucun ne s'opposa à son départ, car on savait qu'elle était une femme dotée de dons que la compréhension du commun des mortels ne pouvait atteindre. On la savait destinée à de grandes choses.

A la Citadelle, la venue de la divinatrice provoqua un profond scepticisme que le charisme de Magnus empêchait d'exprimer ouvertement. Les domestiques, les arcanistes et bien évidemment Vincere voyaient en Ulsia une engeance similaire aux Invocateurs. Elle était Magéienne après tout. Au-delà de ces considérations, les archidémons, eux, craignaient davantage la menace politique qu'une telle nomination représentait aux yeux de l'Ombrescence.

Jusqu'alors focalisé sur la traque de l'Ombre de Ness-Terath, le Profanateur se permit une réflexion qui lui vaudrait l'intérêt des quatre autres membres du Conseil des Sorciers, jusqu'alors méfiants à son égard :

"Œuvrer à un rapprochement des espèces est une chose, votre Altesse. Confier à un humain un poste que nombre d'ombrescents, voire de nécromanciens, rêvent et méritent plus encore d'obtenir en est une autre".

Bien plus jeune que le reste des Arcanistes, le Profanateur témoignait là de qualités d'orateur qu'on ne lui connaissait pas encore. Avec toute la politesse et le respect qu'il devait à son maître, il lui fit ainsi comprendre le sentiment de jalousie à laquelle une telle démarche pouvait conduire. Tous, au palais, en avaient bien conscience. Et tous, in fine, regretteraient de ne pas s'être montrés plus fermes.

Mu par une foi absolue en son maître, Samaël s'imposa au final comme l'un des rares défenseurs de la nouvelle arrivante. Sa réputation ne suffit pas, aussi, pendant de longues semaines, la divinatrice ne put agir ou se déplacer comme bon lui semblait dans le palais¹. 

Malgré les contestations, Magnus ne douta jamais du recrutement d'Ulsia. En dépit des informations délicates dont elle était en possession, il ne lui imposa jamais un pacte de Silence ou une quelconque magie de restriction. Pour une raison que tous ignorait, il lui accorda très vite une confiance surprenante.

Norr Giliath, les projets que nourrissait Magnus avec la Colline et sa thèse relative aux Descendants l'amenèrent à se tourner vers la divinatrice pour apprendre à propos des Hommes ce que la littérature traditionnelle taisait. Sous l'œil curieux de l'Héliaste, elle multiplia les séances pour enseigner à l'empereur les différents rites et légendes tacites, propres à sa factions comme à celles des autres.

Face à l'enthousiasme débordant de l'empereur qui rêvait d'une potentielle alliance avec la Colline, Ulsia cru bon de le mettre en garde quant au mal qui rongeait le promontoire depuis l'installation des onze factions. Elle lui assura tout son soutien au cours de l'entreprise, mais lui rappela toujours les obstacles et menaces à garder en mémoire. Ainsi, très rapidement, elle devint indispensable.

Comme l'Héliaste a pu le confier, il décela chez la divinatrice un esprit aussi brillant qu'habile. Au-delà de ses talents de voyante, Ulsia avait bel et bien eut conscience que son arrivée à la Citadelle serait contestée. Aussi, elle avait apporté avec elle un présent, le présent que jamais Magnus n'avait osé rêvé posséder : un adiantum.

Grâce à ses dons, la divinatrice savait déjà beaucoup à propos de la vie du sorcier. Elle avait notamment connaissance de son amour inconditionnel pour la végétation de la Surface, d'où l'adiantum. Cette variété de plantes qu'elle apporta avec elle avait l'avantage de ne nécessiter ni lumière ni chaleur. La plante d'Ulsia fut la raison pour laquelle Magnus, tel un enfant, entreprit de lourds travaux afin de doter la Citadelle d'une serre botanique digne de ce nom². La divinatrice gagna aussitôt le cœur de son hôte, et une plus grande méfiance encore de l'entourage impérial.  

 Jouissant d'un esprit particulièrement perspicace, la divinatrice ressentait le scepticisme qu'elle suscitait mais n'en tenait pas rigueur. Elle était une femme qui aimait vivre et observer en silence. Ce silence, justement, fut longtemps perçu par les résidents de la Citadelle comme la démonstration du caractère hautain de la divinatrice et des Humains en général. Les archidémons se méfiaient d'elle. Les Arcanistes l'ignoraient ouvertement, bien qu'ils se réunirent en plusieurs occasions pour aborder le problème qu'elle représentait à leurs yeux. Vincere, lui, devint étrangement mesuré.

Ulsia avait en ces temps une quarantaine d'années. Elle était une femme semblable à beaucoup d'autres, toujours bien présentée, doté d'un certain charme galvanisé par son assurance naturelle. Ce charme, sans doute, finit par avoir raison du prince, ou plutôt, des vestiges de l'enfant qui demeuraient en lui. Il est probable qu'une part honteuse de Vincere vit en Ulsia une première figure maternelle. Après tout, elle savait se montrer souriante, aimante, juste. La divinatrice prit pourtant soin de conserver elle aussi une distance avec le jeune sorcier et ce dès son arrivée à la Citadelle. Il lui arrivait de le scruter avec beaucoup de nervosité, comme si l'enfant lui inspirait les plus sombres sensations. Alors, si Vincere se montra parfois intrigué par cette femme, en dépit de son animosité pour sa race, il ne lui fallut pas grand-chose pour changer son fusil d'épaule.

Cela nous renvoie à un événement particulier.

A la fin du quatrième siècle Luminariien, alors que les réunions de haute importance ne se faisaient jusque-là qu'en présence des quatre archidémons et des cinq arcanistes, Magnus cru bon d'inviter Ulsia à la table des discussions. Inutile de décrire le malaise causé par une telle décision. Surtout, après ces premières années passées au palais impérial, la divinatrice prit l'initiative de procéder à une mise en garde qui surprit tous les acteurs rassemblés.

Magnus, ses archidémons et les arcanistes, tous s'accordaient à ce temps pour louer les qualités du précepteur ainsi que de son enseignement. Ulsia, en revanche, doutait. Devant un auditoire peu convaincu, elle prédit :

"Samaël contient plus de pureté que nombre d'entre nous. Son avenir est pourtant plus sombre que celui auquel il devrait pouvoir prétendre."

Aucun ne comprit cette soudaine méfiance envers le possédé. Magnus, pourtant, semblait déjà accorder aux paroles de la divinatrice une confiance à toute épreuve. Ce lien unique qui s'établissait entre le sorcier et la femme n'était pas au gout des proches de l'empereur.

Ulsia, une fois encore, échangeait guère avec ses autres interlocuteurs de la Citadelle. Ses appartements accolés à ceux de Magnus, les plus mauvaises langues ont pu leur prêter une relation tout à fait fantasmée. Il est pourtant incontestable que l'empereur aimait passer des heures à converser avec son invité. Sa thèse, ses projets pour la Colline, son intérêt pour la Surface et les Cieux, innombrables étaient les questions qu'il devait vouloir soumettre à Ulsia. D'autant plus que les inattendus accords de Norr Giliath l'avaient convaincu que l'heure du mariage avec la Colline avait sonné.

Pourtant, un drame inattendu allait couper son élan, et le plonger dans la plus grande controverse de son règne.

"Les heures les plus sombres de votre règne, et de votre vie, vont bientôt débuter", lui prophétisa un jour Ulsia.

Dès l'aube des années 380, les diplomates du monarque Hieros Luminarii préparaient en secret le traité d'alliance qui lierait Citadelle et Colline à jamais. La ratification d'un tel document fut d'abord prévue en 400. Toutefois, le quatrième centenaire de la naissance de Iudicael fut grandement célébré dans tout le promontoire, Hieros se ravisa donc, craignant que son peuple ne voit ce délicat rapprochement comme un blasphème. L'année suivante devait être alors celle de la tant attendue concrétisation du projet de Magnus.

Elle fut celle du chaos. 



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1. Motivé par une affection toute particulière pour son maître, Guido s'était vu confier les fonctions de premier garde du corps de Magnus, et il avait très tôt exprimé ses inquiétudes quant à la venue de la divinatrice à la Citadelle. Il a donc été convenu, en concertation avec le Conseil de Magnus, qu'un arcaniste devrait toujours se tenir en présence de la femme. Si le Profanateur était trop occupé à traquer la piste de l'ombre de Ness-Terath, l'Héliaste se montra le moins réticent à l'idée de surveiller Ulsia.  

2. L'empereur en fit venir des quantités astronomiques au cours des années suivantes, faisant de la serre botanique impériale son lieu d'évasion privilégié.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant