Part.II - 2.3 : Le précepteur

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Venteux et obscur, plus encore que d'ordinaire, fut ce jour où Vincere entendit quelqu'un frapper à la porte de la Citadelle. Le prince avait en ce temps une cinquantaine d'années, mais il gardait l'allure d'un enfant humain. Ce fut donc ce jeune garçon aux grands yeux verts qui s'en alla ouvrir, et ce furent ces deux grands yeux verts qui accueillirent la silhouette massive qui se présentait à lui.

Il n'appartenait pas au prince d'agir ainsi. Bien que l'Ombrescence était en ce temps des plus obéissantes, et les Invocateurs pour la plupart exterminés en emprisonnés, l'empereur et son fils n'étaient pas à l'abri d'un coup d'État ou d'un attentat. Il y avait des gardes au palais pour ouvrir aux visiteurs, des servants, des domestiques en tout genre, mais Vincere était un enfant aimant se dérober à leur attention. Sa solitude l'amenait à se promener seul dans l'immensité de l'édifice, et, en de rares occasions, à se retrouver seul face à un étranger comme celui qui se dressait face à lui ce jour-là.

Vous devez être Vincere, s'exclama l'inconnu d'un air sombre.

Son jeune âge, la tempête qui balayait l'empire depuis plusieurs jours, le ciel noir, bien des choses firent que cet instant resta gravé à jamais dans l'esprit du sorcier, car son interlocuteur était des plus impressionnants. Il en fut tant estomaqué qu'il ne sut répondre. Pour cela, il fallut attendre l'intervention de l'une des océaniennes chargées de sa garde.

Maître Vincere ! s'alarma-t-elle en plaçant le jeune sorcier derrière elle.

A son tour ébranlée par la créature qui se tenait devant elle, la servante lâcha malgré elle un petit cri de peur.

Son Altesse Magnus m'a demandé, expliqua-t-il.

Ah oui, vous êtes le... balbutia-t-elle. Venez, entrez vite, poursuivit-elle en essayant de sourire.

L'individu qui pénétra dans la Citadelle mesurait bien plus de deux mètres, et son corps était aussi épais que l'était celui de l'empereur. Lorsqu'il enleva le tissu noir qui le couvrait des épaules aux genoux, Vincere découvrit un visage étonnamment amical : un air charmeur, une épaisse barbe brune, des cheveux bruns ébouriffés. Lorsque leurs regards se croisèrent, l'étranger mima une brève révérence au prince, et ensemble ils s'en allèrent aux appartements privés de Magnus à l'étage.

De cette rencontre, Vincere écrira quelques années plus tard : "J'étais comme hypnotisé à sa vue. Il y avait en lui quelque chose qui me rassurait, qui m'assurait que, tant qu'il serait près de moi, rien ne pourrait jamais m'arriver."

Dès qu'ils le rejoignirent, l'empereur était comme bien souvent plongé dans les ouvrages de sa bibliothèque et ses recherches. Nul besoin d'introduction de la servante, le sorcier devina de qui il s'agissait aussitôt en voyant le visage de l'arrivant. Ce dernier ne feignit aucune courbette, mais s'attela à une véritable prosternation.

Laissez-nous, ordonna Magnus à l'océanienne. Je vous en prie, relevez-vous, lança-t-il à son interlocuteur.

C'est un honneur, votre Majesté.

Vincere, pensant sa présence non désirée, voulut suivre la servante.

Reste ici, Vincere, l'interrompit son père. Notre invité est venu pour toi et toi seul.

Moi ? s'étonna le prince.

L'empire m'a rappelé à mes obligations, tu l'as remarqué. Je ne serais plus à même d'assurer ton éducation autant que je le souhaiterais. Je te présente donc ton nouveau précepteur.

Au-delà des raisons on ne peut plus légitimes de l'empereur, il se cachait derrière cette arrivée au palais le constat d'un échec : celui d'Abaddon et de Maelströ a raisonné Vincere quant à son point de vue concernant les Humains. Le précepteur était là pour ça. Et quel précepteur. Ancien soldat de la Grande Guerre, maître d'armes et instructeur dans la célèbre colonie asurienne de Danskrah, puis précepteur au sein de l'une des plus grandes familles de sorciers du sud-est, son expérience avait grandement facilité le choix de l'empereur.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant