Part.II - 1.3 : L'apprentissage du pouvoir

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Un peu moins de cinquante ans s'étaient écoulés à la Surface, soit la période approximative pour que les Sorciers considèrent qu'un enfant entre dans la "préadolescence" (comme la définissent les Humains). Pour les Sorciers, elle correspond à une évolution physique fulgurante, en taille comme en force, mais pas encore à l'apparition des premiers pouvoirs magiques. Vincere, plus tôt encore que son père avant lui, fit pourtant déjà étalage de ceux-ci¹. Magnus prit alors la décision de l'intégrer peu à peu à la vie politique. 

Le prince siégea d'abord aux réunions avec les archidémons, Magnus redoutant de confronter son fils à la rudesse de ses arcanistes. Avec Deep, Akuma, Guido, Abaddon et Maelströ, Vincere fut introduit à la bureaucratie impériale, à la diplomatie ombrescente, aux travaux architecturaux du palais, aux questions liées à l'urbanisme, au commerce et aux voies de communications dans l'empire, aux questions de sécurité, ... Ces premières expériences furent d'un ennui mortel pour le jeune sorcier. Fort heureusement pour lui, il y avait dans l'entourage de son père des créatures empathiques capables de le comprendre. A la tête de celles-ci, évidemment, le duo Abaddon/Maelströ.

Avant même d'avoir rencontré celle qui partagera sa vie plus tard, Abaddon avait montré sa profonde affection pour les enfants et ses facilités pour s'occuper d'eux. Au palais, où la jeunesse était trop peu représentée, Vincere avait trouvé une oreille attentive. L'un et l'autre avait forgé depuis plusieurs années une relation qui, plus que de l'amitié, pouvait parfois apparaître comme celle d'un père et son fils. Le possédé, toutefois, prenait soin de ne pas franchir cette fine et dangereuse frontière.

Les liens qu'entretenaient Magnus avec son enfant, justement, étaient assez ambivalents. Il y avait de l'amour, indéniablement, même si les démonstrations du père pour le fils étaient souvent maladroites. L'empereur voyait dans l'apprentissage du pouvoir un moyen de se rapprocher du prince, or, ce dernier n'était que modérément intéressé par ce sujet. Aussi, il n'était plus dans les habitudes de Magnus de faire étalage de son affection. Après tout, l'étiquette impériale définissait de telles pratiques comme une preuve de faiblesse. Vincere n'étant plus un enfant, il ne pouvait plus prétendre aux démonstrations affectives de son père. On pourrait reprocher pour une fois à l'empereur d'avoir voulu suivre la norme.

"Émotion et sentimentalisme sont à proscrire", soulignent, encore de nos jours, les spécialistes du protocole.

Malheureusement pour Vincere, cet amour dont on le privait, il ne parvenait pas à le trouver non plus dans la sphère privée.

Déjà, le mystère entourant sa naissance avait dressé une sorte de barrière entre son père et lui, barrière épaissit par la méfiance de l'entourage de l'empereur. L'Aíę Ahlbå, nous l'avons déjà abordé, représentait aux yeux des ombrescents une abomination. Ébruiter que le prince descendait directement de Nephee aurait pu représenter une menace pour l'héritier, un risque que l'empereur s'était promis de ne pas courir.

Le prince avait dès lors nourri une nature qui était tout sauf avenante. La réserve de Vincere s'était amplifiée au fil des ans, attendant de son père qu'il vienne à lui et non le contraire. L'ambivalence mentionnée précédemment réside dans le fait que, comme la plupart des enfants, Vincere recherchait l'attention et l'affection de son unique parent. L'entrée dans la période "adolescente" fut donc des plus délicates.

Il y eut des bruits de couloirs à la Citadelle, affirmant qu'Abaddon lui-même avait fait part à Magnus de ses inquiétudes quant au caractère toujours plus solitaire du prince. Véridique ou non, au début des années 380, l'empereur entama un grand voyage dans son empire, afin d'y faire la rencontre de son peuple et de lui présenter l'héritier en bon et due forme. Sans doute n'y avait-il pas plus belle occasion pour renouer les liens père/fils.

Personne n'aurait pu prédire le succès de l'opération. Double succès même.

Le peuple se montra plus qu'enthousiaste à cette démarche. Au passage de la caravane impériale s'abattait un déluge ininterrompu de présents, ainsi que des déclarations d'amour pour Magnus et son fils. Ce dernier en fut d'ailleurs profondément touché. D'un point de vue politique, cette entreprise montrait, s'il le fallait encore, à quel point aucune contestation ne pouvait fragiliser la place des deux sorciers. Symbole du sauveur, l'empereur était adoré, et son enfant représentait l'assurance d'un futur stable dans les Profondeurs. Le second succès fut d'un ordre personnel.

Pour le plus grand plaisir des ombrescents, mais aussi des archidémons qui accompagnaient le cortège, on assista à plusieurs scènes touchantes entre Magnus et Vincere. Au cours d'un tournoi de lutte amical entre asuras, tout près d'Hokirr, on s'amusa de voir les deux sorciers toujours parier sur un combattant différent. Lors des impressionnantes courses océaniennes dans le Vastazul, l'équipe du fils écrasa celle du père. Abaddon notera plus tard :

"Jamais je n'ai vu enfant plus heureux. Jamais je n'ai vu plus grand sourire chez Vincere que celui qu'il arbora quand les océaniens le portèrent sur leurs épaules après leur victoire. Il me semble avoir entrevu dans les yeux de sa Majesté quelques larmes de joie."

Durant ces neuf mois, entre 380 et 381, un rapprochement incontestable s'opéra entre Magnus et son enfant : leurs conversations se firent plus nombreuses, plus profondes, et leur complicité ne cessa de grandir. Et il en allait de même pour les archidémons, et notamment Abaddon qui ne cessait de devenir le plus fidèle confident du jeune prince. Toutefois, il y avait un sujet sur lequel Magnus et Vincere allaient heurter leur désaccord.

A la fin du voyage, alors que le cortège impérial scrutait les Cendres avec quelques représentants djinns, père et fils partagèrent un moment qui, selon de nombreux historiens, marqua le début du conflit qui opposerait Magnus et Vincere jusqu'à la fin. 



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1. L'épisode de l'Éveil des pouvoirs de Vincere est assez amusant et représentatif de l'adorable enfant qu'il était en ces temps. Ayant pris l'habitude depuis plusieurs années de se rendre discrètement dans les cuisines pour y dénicher de quoi manger, il tomba sur un commis qui lui assura que le dîner ne comporterait pas de ryl (espèce de pois cassé très sec que le prince avait en horreur). Vincere parvint alors à lire brièvement dans les pensées de son interlocuteur pour découvrir que celui-ci mentait. Magnus en fut des plus fiers, bien que ces dons lui poseraient plus tard de gros problèmes. 

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant