Rarement l'histoire a pu être témoin d'une dévotion aussi grande que celle dont firent preuve les archidémons Guido, Akuma, Deep, Abaddon et Maelströ. Yuki n'avait pas caché à Magnus que son fils revenait à la Citadelle pour le tuer de ses mains, et les conseillers ne survivraient pas à ce retour tragique. Elle lui assura aussi que, d'aucune manière, ses quatre conseillers ne devaient avoir connaissance de la vengeance de Vincere. Pour que son fils puisse embrasser un jour le fabuleux destin qu'on lui promettait depuis sa naissance, l'empereur dut se résigner à cacher la vérité à ses fidèles compagnons. Il dut les condamner à une mort certaine. Ceux-là avaient pourtant bien compris qu'il se tramait quelque chose de grave, mais la confiance qu'ils nourrissaient envers leur maître ne leur permettait pas de douter de lui.
Jour après jour, Magnus guettait l'horizon en quête d'un signe, une trace de son fils. Une part de lui se réjouissait de le revoir, quand une autre s'enfonçait dans le désespoir du cruel dilemme que la vie lui soumettait. Comme Ulsia jadis, Yuki avait toute l'attention et le respect de son maître, il l'écoutait d'une oreille particulière et attachait toujours beaucoup d'importance à ses avis, même si ceux-ci furent parfois opposés aux siens.
Le destin de Vincere, son avenir radieux, Magnus y croyait fermement et ce depuis la venue au monde de son enfant. La voie qu'avait pourtant emprunté le prince n'était-elle pas trop obscure pour espérer un tel retournement de situation ? N'était-il pas envisageable que le jeune sorcier devienne un être des plus diaboliques, un conquérant, un grand de ce monde, certes, mais un tyran assoiffé de sang ? Devoir cacher une mort certaine à ses archidémons emplissait le cœur de Magnus de tristesse et de culpabilité, mais il était prêt à concéder leur mort, comme la sienne, si celles-ci menaient à un monde meilleur. Une part de l'empereur, toutefois, craignait pour l'Ombrescence. Une part de lui doutait. Et ce doute l'assaillit jusqu'au fameux jour.
Plongé dans son fauteuil dans l'une de ses salles dévolues à son conseil, Magnus présidait la réunion. Les conditions lui étaient étranges. Certes, la présence du jeune Ezéchiel le ravissait, mais l'absence des arcanistes ou d'Ælisia le peinait, comme si une page de son histoire avait été tournée, comme si une ère était définitivement révolue.
— Ezéchiel, s'exclama Abaddon, tâche de ne pas te faire remarquer mon fils.
Yuki déboula soudain dans la pièce en hâte, essoufflée.
— Pardonnez mon retard, maître Magnus, s'excusa-t-elle.
— Yuki, nous t'attendions, répondit l'empereur. Nous allons pouvoir nous y mettre. Quel est l'ordre du jour ?
— Quelques problèmes liés à l'architecture du palais qu'il va falloir revoir et des entretiens à programmer avec les Océaniens, dit Akuma en vérifiant ses papiers.
— Pardon, jeune Ezéchiel, vous n'apprendrez rien de trépignant aujourd'hui avec nous, dit Magnus en orientant son visage sympathique vers le petit possédé.
— La fonction d'archidémon représente le plus grand des honneurs, répondit respectueusement Abaddon.
— Vous êtes trop sérieux Abaddon, s'amusa Magnus.
— Ezéchiel doit entrevoir l'ensemble des missions qui seront bientôt les siennes maître, mais il doit garder à l'esprit le lourd poids de la tâche qui lui incombera.
Magnus n'avait pas détaché les yeux de l'enfant d'Abaddon. Bien-sûr, Ezéchiel n'était plus un enfant mais déjà ce que l'on appelle un "adolescent" ombrescent. Pourtant, le sorcier voyait en lui le fils qu'il avait perdu. Il voyait Vincere, les années heureuses qu'ils avaient partagé, les futurs qui auraient pu être les leurs. Il aurait tant aimé voir son fils gouverner avec, puis après lui. Ce fut sur ses pensées que la porte de la salle fut ouverte avec violence. C'était eux.

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La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers
FantasyDes siècles avant les événements relatés dans la saga "La Colline", un jeune sorcier avait révolutionné les Profondeurs, tout comme son fils allait le faire après lui. Le Mythe des Deux Sorciers est une double biographie consacrée aux vies de Magnus...