L'épisode des renégats d'Ekras passée, Magnus rentra à la Citadelle avec l'impression d'avoir géré le problème avec doigté. C'était en effet le cas, toutefois, les représentants de l'Ombrescence déjà bien émoustillés après les impopulaires déclarations de l'empereur considérèrent que le moment était venu pour eux aussi de faire gronder leur mécontentement.
Sans doute une partie des factieux craignaient-ils encore trop la colère de Magnus. Le découvrir aussi affaibli représentait le moment propice pour faire connaître leurs revendications. Ekras arrêté et les Collecteurs en furie, l'heure des comptes avait sonné.
Nous sommes en 402 et six délégations ombrescentes se présentent alors à la Citadelle.
Pas moins de neuf semaines de pourparlers seront nécessaires avant que l'assemblée réunie ne se sépare. Au cours de ces longues journées de débats, les représentants asuras, djinns, crieurs, océaniens, possédés et sorciers présentèrent à l'empereur un bilan de son règne. Après les années dorées qui suivirent la mort de Nergal, Magnus témoigna d'un mode de gouvernement inédit, loin des coutumes ombrescentes. Négliger la cérémonie d'Allégeance fut sa première erreur (que ses opposants se gardèrent bien de lui notifier jusqu'ici).
Si les accords de Norr Giliath représentaient un pas en avant dans les indispensables alliances à nouer, les vœux bien connus de l'empereur de se lier à la Colline ne passaient plus. Ainsi, les plus virulents de ses détracteurs le rendaient en partie responsable du massacre des Chimères de l'année précédente. Inutile de souligner ô combien les annonces impériales qui suivirent ne furent pas au goût des délégations. Ce seul sujet occupa près de la moitié du temps passé à la Citadelle.
S'ajouta ensuite la question des geôles du palais, remplies d'Invocateurs. Les représentants de l'Ombrescence ne comprenaient pas l'intérêt pour Magnus de garder les descendants de Lior ici, d'autant plus que Norr Giliath acceptait de les accueillir. Ils pointaient du doigt un problème en effet bien épineux pour l'empereur.
Magnus avait, après le Grande Guerre, rempli les prisons impériales afin de ne pas condamner les innocents au même sort que leurs soldats. Après le faible sursaut mené avec le nécromancien Krenth, il avait pris la décision de poursuivre sur sa lancée et d'afficher les conditions des détenus dans l'espoir de dissuader de toute nouvelle rébellion.
Les accords de Norr Giliath lui avait permis de se désister d'une partie de ses prisonniers, mais il en demeurait encore un certain nombre à la Citadelle, d'autant plus que les Invocateurs y avaient appris à "vivre", et survivre. Il y avait donc des enfants qui naissaient dans les geôles du palais. Magnus lui-même ne parvenait pas à trancher quant au sort qu'il devait leur réserver. Magnanime, et surtout aveugle des réalités, il ne se voyait pas vider ses cellules après toutes ces années. Il pensait envoyer au fur et à mesure à Norr Giliath. Il peinait, une fois encore, à punir les innocents au nom des crimes que leurs pairs avaient commis.
Son incapacité à prendre une décision appuya l'idée de ses opposants que "le cœur de Magnus était bien plus humain qu'ombrescent". Le grand tour à la Surface qu'il avait effectué au début de son règne lui fut de même vivement reproché.
A la fin de la huitième semaine de débat, les délégations présentèrent leur proposition : en vertu des bienfaits qu'il a apporté à l'empire, l'empereur pourrait quitter son poste sans mourir et laisser l'Ombrescence se réunir pour élire son successeur. Conscient de l'impossibilité pour les peuples de s'accorder sur un même candidat, et surtout réfractaire à l'idée d'abandonner ainsi, Magnus renvoya les délégués et la contestation ne cessa ensuite de grandir.
La rupture était consommée entre l'empereur et les représentants ombrescents, et celle-ci mènerait à de lourdes extrémités.
En 417, Akuma et le Généalogiste mirent à jour un nouveau complot qui s'apprêtait à éclater contre l'empereur. Les coupables, à savoir plusieurs possédés et océaniens, avouèrent qu'un attentat avait été organisé afin d'assassiner Magnus. S'ensuivit l'un des procès les plus retentissants qui maintint tout l'empire en haleine. Après Ekras, comment l'empereur pouvait-il réagir ? Les Mémoires d'Abaddon soulignent la préoccupation du possédé : "Nous, ses archidémons, étions persuadés qu'il [Magnus] témoignerait d'une clémence inadaptée dans le seul but d'apaiser les tensions".
Contre toute attente, Magnus ordonna la mise à mort de l'ensemble des conjurés. Ceux-ci, érigés en secret au rang de martyrs, avaient exercé la véritable volonté du peuple. Ils furent pleurés en cachette et une distance ne cessa de séparer l'empereur d'une partie des siens. Le sorcier écrira quelques années plus tard :
"Jamais je ne me suis senti aussi seul. Jamais je ne me suis senti aussi honteux. J'avais l'impression d'être entré dans un engrenage démoniaque duquel je ne pourrais plus me défaire. J'avais l'impression de ne plus mériter ce trône que m'avait confié Nergal. La vérité est que, à mes yeux aussi, je n'avais plus rien de Grand."
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La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers
FantasyDes siècles avant les événements relatés dans la saga "La Colline", un jeune sorcier avait révolutionné les Profondeurs, tout comme son fils allait le faire après lui. Le Mythe des Deux Sorciers est une double biographie consacrée aux vies de Magnus...