La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers

Part.III - 4.2 : Idolâtre

La visite d'Aegidius à la Citadelle le 4 septembre 486 marqua les livres d'histoire tout autant que l'existence du chambellan de la Colline. Promu à l'honorifique chambellanie trois années plus tôt, Dante révolutionnait les coutumes liées à cette charge. Il était jeune, très jeune (seulement trente ans), originaire de l'extérieur de la Colline, qui plus est d'une faction officiellement éteinte, ou presque¹.

A la Colline, le secret de l'assassin demeurait pourtant bien gardé, Aegidius y veillait. Au-delà du savoir que lui apportait Dante, le monarque avait su déceler l'étendue des aptitudes de son nouveau bras-droit. Cet assassin était, du propre aveu d'Aegidius, l'un des rares hommes à pouvoir rivaliser avec Nathanaël Reagalen ou Sylvanus Santora. Le monarque se félicitait d'avoir pu apprivoiser un tel soldat. Malheureusement pour lui, la loyauté de Dante s'apprêtait à changer de camp.

Plus qu'une banale curiosité, c'était une véritable obsession qui était née chez l'assassin le jour où il croisa le "prince Vincere". Cette fascination, qu'expérimenteront d'autres par la suite, venait de cette nouvelle aura que dégageait le sorcier. L'enfant réservé de la Citadelle s'était depuis plusieurs décennies effacé au profit d'une créature caractérielle, certes, mais ô combien charismatique. Il était devenu puissant, avait hérité du visage séducteur de son paternel, et représentait un acteur majeur de l'Histoire à venir. Si certains ont longtemps considéré que cette passion commune pour sa personne venait d'un quelconque enchantement, ou de nouvelles aptitudes liées à sa télépathie, il n'en était rien. En réalité, Dante voyait en ce jeune prince le meneur capable qu'il n'avait jamais vraiment trouvé en Aegidius Luminarii. Le sorcier, sans doute, lui permettrait de remplir la mission qu'on lui avait autrefois confiée.

Moins de deux ans après cette rencontre, la divinatrice de la Citadelle organisa un entretien des plus officieux avec le chambellan, afin de signer quelques accords entre les deux superpuissances. Ça n'était bien entendu qu'un prétexte, une faible raison qui permettrait à Yuki de s'entretenir avec Aegidius et Dante à l'abri des regards et des oreilles. Après quelques ratifications et banalités, le sujet se porta bien vite sur Magnus et son remarquable héritier. Sans sourciller, la divinatrice s'exclama : "Le prince est enfermé à Norr Giliath".

Une surprise indicible se peint alors sur les traits d'Aegidius, mais plus grand encore était l'état de choc dans lequel se trouvait Dante. Et bien que son visage était dissimulé derrière son masque, Yuki savait quel effet une telle annonce avait produite chez l'assassin.

— C'est la première fois de son histoire que Norr Giliath utilise l'une de ses cellules de très haute sécurité, ajouta-t-elle.

— La première fois qu'un prince y est enfermé... poursuivit le roi, pensif. Que s'est-il passé ?

— Eh bien... débuta Yuki, voyez-vous, le prince Vincere a toujours fait preuve d'une certaine défiance envers son père. Il ne partage pas l'intérêt de l'empereur pour les Humains, et notamment la Colline. Le triste épisode des Chimères n'a fait qu'entériner sa haine pour notre espèce. Dès lors, une part de Vincere ne vit que pour assouvir sa vengeance, détruire la Colline hante ses pensées.

Habile, la divinatrice savait que ces mots toucheraient l'agent envoyé par Monastyr. D'abord ébranlé par la nouvelle de la détention du prince, Dante sentit naître en lui la conviction que Vincere représentait la carte maîtresse qu'il lui manquait pour enfin accomplir la mission qui l'avait jadis mené à la Colline. Avant que la divinatrice ne quitte le palais royal, elle lâcha l'air de rien une information capitale que sut capter le chambellan, contrairement au roi Aegidius :

— Dire que tout cela aurait pu être évité si l'empereur n'avait pas fait venir ce jeune sigillant à la Citadelle... Peut-être désireriez-vous le rencontrer ? Pour cela, il vous suffit de partir pour les côtes, afin de rallier la cité de Mithrida. Tout le monde là-bas saura vous aiguiller vers ce prodige qui répond au nom de Jie. Il représenterait, j'en suis certaine, conclut-elle en fixant Dante, un allié de poids.