La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers

Part.III - 3.3 : Le deuil du père

"Ils l'ont eu. Ils les ont tous eu. Votre fils sera bientôt confié à Norr Giliath".

Ces mots de l'Apocryphe frappèrent Magnus avec plus de violence qu'il ne l'aurait imaginé. L'Ombrescence, l'empire, les Descendants, la Colline, plus rien ne comptait à ses yeux tant son sentiment d'impuissance l'avait terrassé. Il venait de perdre son fils à tout jamais, et demeurerait seul, privé des deux créatures pour lesquelles il avait ressenti un amour incommensurable.

Magnus ne serait dès lors plus que l'ombre de lui-même. Des années durant, on lui avait demandé d'emprisonner son fils après ses innombrables provocations : le manuscrit de Manès, la serre botanique, ses insultes, ses liens avec les invocateurs, ...

Plusieurs semaines plus tard, après qu'Ælisia, Guido, le Profanateur et l'Apocryphe aient accompli leur mission, l'empereur prit soin de réunir les arcanistes ainsi que l'ambassadrice lors d'un rassemblement des plus secrets.

Magnus parla peu lors de cette entrevue. A vrai dire, il comptait faire, bien plus que dire. A chacune des créatures présentes, il jeta un sort. Il s'expliqua ensuite :

"Ainsi, quoi qu'il advienne, il ne s'introduira plus dans vos esprits".

Après cela, Magnus s'enferma dans le silence et la solitude.

Il repensait à Nephee, à l'enfant qu'elle lui avait confié, au jeune sorcier émerveillé par les Chimères, ce prince acclamé par son peuple. Cette époque lui semblait si lointaine, si belle et malheureusement révolue. Ce qui lui pesait le plus, à ce moment-là, c'était de repenser à la conversation que Vincere désirait avoir avec lui, la raison qui l'avait poussé à mettre de côté leurs différends pour revenir à la Citadelle. S'il lui avait accordé cette audience, peut-être les choses auraient-elles été différentes. Magnus envisageait ainsi toutes les possibilités, tous les scénarios, mais plus rien ne pouvait défaire ce qui avait été fait.

Des mois durant, après que Vincere ait rejoint la célèbre prison de la Surface, ni Yuki, ni Ælisia, ni les arcanistes, ni même les archidémons ne virent l'empereur. Il vivait reclus entre sa bibliothèque et ses appartements, mangeait peu, prenait soin de ne croiser personne. Le gouvernement, il le laissait à ses deux conseils. Il avait suffisamment donné à l'empire, pensait-il, et l'empire lui avait pris ce qu'il avait de plus cher. Comme disent parfois les Humains, on ne se rend compte de la valeur des choses qu'une fois celles-ci perdues.

Ælisia quitta la Citadelle comme convenu, afin de pouvoir donner naissance à son second fils et se consacrer à sa famille, loin du désespoir des Profondeurs. Le personnel du palais se réduisit peu à peu, vidant les couloirs comme les alentours du lac. La venue du jeune fils d'Abaddon à la Citadelle, Ezéchiel, avait beau apporter un brin de joie à l'empereur, il n'en demeurait pas moins soumis à une lourde détresse. Cette époque tragique, pourtant, ne faisait que débuter, car les heures qui attendaient Magnus ne feraient que s'assombrir toujours un peu plus.

Un jour, faisant fie des convenances, Yuki déboula dans la chambre de l'empereur pour avoir une conversation nécessaire autant qu'elle la redoutait :

— Vincere reviendra, annonça-t-elle en préambule, mais pas de la manière que vous souhaiteriez.

— Que veux-tu dire ? l'interrogea le sorcier.

— La prophétie que vous avez vu, elle m'est revenue. Et ce n'est pas tout. J'ai vu ce que l'avenir lui réservait, et son avenir sera grand, plus grand encore qu'aucune autre créature née dans ce monde. Plus grand encore que ne l'a été votre existence.

— Comment pourrait-il quitter Norr Giliath ?

Yuki ne lui répondit pas.

— Pour qu'il puisse embrasser la destinée que... certains ont pu lui promettre, votre mort, comme celles de vos archidémons et de vos arcanistes seront indispensables.

A sa plus grande surprise, Magnus ne répondit pas.

— Vous le saviez déjà. Voilà pourquoi vous ne m'avez pas conviée à votre dernière réunion, vous savez ce que je m'apprête à faire...

— Il est des choses que je ne m'explique toujours pas, même après toutes ces années, Yuki.

— Vous êtes Magnus, vous serez toujours le Grand.

Elle parvint à lui arracher un maigre sourire.

— Vous avez confiance en lui ?

Magnus prit une longue et douloureuse inspiration avant de s'exclamer :

— Toujours...