Part.IV - 5.2 : Une coexistence contre-nature

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La découverte de ses deux nouveaux corps provoqua en Nephyl un immense sentiment de répulsion. Le sien, d'abord, car cette forme spectrale le réduisait à un état de dépendance complète envers son hôte, un état de servitude qui le privait de fait de la destinée fameuse qui lui avait été promise. Il était devenu un esprit, une vulgaire âme vaincue. Le prince sorcier n'était et ne serait ainsi plus. L'enveloppe d'Ezéchiel, ensuite. Il était un possédé sans renommé, le chétif fils de l'ancien archidémon de Magnus. Il n'était rien, personne, et c'était pourtant cette créature insignifiante qui avait fait tomber le tant redouté empereur Nephyl.

Retrouver le jeune épéiste qui, à ses yeux, avait grandement contribué à sa chute, ne fit qu'accentuer l'amertume de la réunion qui suivit le départ précipité de la Fosse. Poussé par son découragement, Nephyl avoua tout : son ascendance, ses motivations, mais aussi Elle et son champion Pyromancien. Plus rien ne comptait réellement à ses yeux, et il n'avait pas pour projet d'accepter sa condition. Ainsi, des semaines durant, il se terra dans le silence, tentant parfois de prendre le dessus sur son hôte, sans succès. Cependant, un dialogue, tout aussi haineux soit-il, allait enfin s'ouvrir entre Ezéchiel et Nephyl, et ce grâce à la présence d'un acteur de l'Histoire dont le rôle fut bien trop souvent minimisé : Fortens.

La découverte d'un survivant invocateur éveilla en Nephyl des sentiments indéfinissables. Après la Purge, après la mort de Sohl, le sorcier s'était fait à l'idée que la seule faction humaine qu'il avait appris à aimer s'était définitivement éteinte. Sa nouvelle condition lui empêchant de sonder les esprits, l'ancien empereur ne put lire en Fortens les secrets que ce dernier prenait soin de taire. Quoi qu'il en soit, l'archidémon avait gagné l'intérêt de Nephyl, tout comme cette promotion contestée par l'Ombrescence poussa le sorcier à voir Ezéchiel comme une créature plus caractérielle qu'il n'avait pu le penser. Fortens continua d'intriguer l'ancien empereur lorsque ce dernier remarqua la présence, autour du cou de l'archidémon, d'un bijou singulier qu'il avait par le passé déjà vu en possession de Dante. La signification de cette pierre bleuâtre lui demeura certes un mystère, mais Fortens s'imposa comme l'une des rares personnes à intéresser Nephyl.

Les jours passèrent et l'envie du sorcier de faire entendre sa voix ne cessait de croître. Ezéchiel, craintif de le voir prendre possession de son corps comme à Obsidienne, ne lui en laissait nulle occasion. Ainsi Nephyl ne put s'exprimer lorsque l'empereur et Fortens abordèrent le délicat sujet du manuscrit de Manès, ancienne propriété de Sohl. Et en dépit de sa valeur historique, décision fut prise de détruire l'objet, et la menace qu'il représentait.

À cause de cette décision, tout comme Guido, Typhos et Torka, Fortens finit par apparaître comme un être de second rang aux yeux de Nephyl. Il ne chercha pas à leur adresser la parole, ni à prendre part à la tortueuse quête dans laquelle Citadelle et Colline s'étaient lancées. Le sorcier se contenta de demeurer silencieux, sauf avec Ezéchiel dont les disputes ne cessaient de faire trembler les murs du palais impérial. Et si le sorcier ne montra longtemps aucun signe de remord quant au sujet inévitable de leur querelle - à savoir le meurtre du père d'Ezechiel - côtoyer les souvenirs du jeune possédé lui rappela peu a peu les belles années passées aux côtés d'Abaddon et Maelströ. Loin de vouloir s'excuser ou de regretter son geste, Nephyl ne tarda pourtant pas à sentir une part de son cœur s'adoucir, car si lui avait en horreur son père, il ne pouvait s'empêcher de jalouser l'amour qu'entretenaient Ezéchiel et son paternel.

Le "vivre ensemble", voilà la rengaine avec laquelle Abaddon et Maelströ n'avaient cessé de lui casser les oreilles quand il était encore un jeune prince. Et pourtant, n'était-ce là pas le seul salut qu'il restait à Nephyl ? Une âme possédée ne peut pas retrouver son corps. Elle ne peut que cohabiter avec son hôte, ou périr. Devait-il réellement se lamenter avec autant de puérilité ? Était-ce vraiment digne du célèbre fils de Magnus à qui tous promettaient un destin merveilleux ? Lentement, l'idée de travailler de concert avec Ezéchiel s'immisça dans l'esprit du sorcier, mais sa fierté l'empêchant de l'avouer, il redoubla d'effort pour prendre possession de cette enveloppe qui n'était pas la sienne, et enfin agir.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant