La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers

Part.I - 3.3 : Sur les traces de Thormir (suite)

Des jours, puis des semaines de marches s'écoulèrent sans que Magnus ne croise la moindre forme de vie. Poussé par un savant mélange de curiosité et de peur, le sorcier s'enfonçait toujours plus dans les ténèbres des Cendres, et cette obscurité fit naître en lui le dangereux désir de rencontrer les Faucheurs. Il n'en vit pourtant aucun. Et malgré l'étendue de ses pouvoirs, comme la plupart des créatures qui s'aventuraient dans les Cendres, Magnus s'égara. Il erra un temps indéfinissable sans jamais trouver une piste ou un indice. Peut-être, affirment encore certains, l'empereur aurait-il pu périr en ces terres si la chance ne lui avait pas souri.

Alors qu'il progressait éreinté, malmené par le vent, une chose l'approcha lentement, intriguée par la haute silhouette du sorcier. Quand Magnus s'en aperçut et qu'il se retourna, il tomba nez à nez avec un être de vapeur, bleuâtre, comme un fin tissu qui danserait au vent. Un djinn.

— Vous êtes loin de vos terres, sorcier.

— Je cherche le légendaire temple de Lucis, répondit Magnus d'une voix à bout de souffle.

— Le temple ? s'étonna le djinn. Pourquoi donc ?

— Pour rallier la Surface.

— Le domaine des Humains ? C'est un endroit bien dangereux, tout comme celui-ci dans lequel vous vous trouvez actuellement.

— Je n'ai pourtant croisé aucun faucheur.

— La Fosse n'est pas très loin d'ici, plus à l'est. Le temple est de même tout près, mais il est enfoui sous le sable.

— Ça, ce ne sera pas un problème.

Sans aucune autre solution à sa disposition, Magnus plaça sa confiance dans le djinn et il parcourut quelques heures supplémentaires le vaste désert qui aurait pu le mener à sa perte. Guidé par son compagnon à l'apparence envoûtante, le jeune sorcier rassembla son savoir quant à cette espèce :

— Quel genre de djinn êtes-vous ? Un venteux.

— Et puis-je savoir votre nom ?

— Vous semblez avoir oublié que les Djinns n'ont pas de nom, répliqua la bête. Tout du moins, pas ceux qui se trouvent de ce côté-ci du Large Belt.

— C'est ce que j'ai entendu dire, mais comment puis-je vous appeler dans ce cas ?

— M'appeler ? Hum... Eh bien, si vous y tenez tant, vous n'avez qu'à m'appeler Deep.

— Deep, vous m'avez sauvé.

— Vous n'êtes pas le premier ni le dernier à vous perdre dans les Cendres, rassura le djinn. Comment vous nommez-vous ?

— Magnus.

La silhouette flottante s'immobilisa alors, et s'il y avait un visage sur ce corps alors il exprimerait sans aucun doute la gravité.

— Vous n'êtes pas le bienvenu ici, mit en garde le djinn.

— Parlez-vous en votre nom ?

— Je n'oserais pas. Mais le Fossoyeur et ses Lieutenants sont sans pitié envers ceux qui foulent leur territoire. Même pour une personnalité si éminente que vous.

— Alors tâchons de rejoindre le temple au plus vite, répondit Magnus avec un large sourire.

— Nous y sommes déjà.

Seuls quelques blocs de roches émergeaient du sol, étrange dentition d'une bouche noirâtre et sans fin. Alors, sans attendre, Magnus leva les bras et dégagea la zone jusqu'à ce que le vaste temple de Lucis ne lui apparaisse entièrement.

— Me permettez-vous de vous demander quels sont vos projets à la Surface ?

— Je souhaite rencontrer le roi de la Colline, répondit le sorcier.

— On raconte bien des choses sur cet endroit...

— Je sais. Je veux savoir ce qu'il s'est passé avec les Invocateurs, et je compte m'assurer que plus jamais les Humains ne représenteront une menace pour nous.

— Certains peuples Magéiens ont jadis été bannis il me semble, peut-être l'ont-ils été eux aussi.

— Comment le sais-tu ? s'étonna l'empereur.

— Je me rends parfois dans l'autre désert, celui de la Surface, lorsque la nuit est tombée. Les Humains, je dois bien l'avouer, m'intriguent au plus haut point. Les miens ont assisté à la dangereuse traversée de ceux que l'on appelle les Occultistes. On m'a conté la grandeur de leurs pouvoirs.

— Tu sembles bien au fait de l'espèce de Thormir.

— Je ne suis qu'une créature curieuse du monde qui l'entoure.

— Que dirais-tu d'en apprendre plus encore en m'accompagnant dans le domaine de Fortë ?

— Avec vous ? Ce serait un immense honneur, s'enthousiasma le djinn.

Ainsi, Magnus et Deep s'engouffrèrent dans le temple de Lucis. Jamais personne n'a su comment les deux créatures étaient parvenues à résoudre l'énigme permettant de passer des Profondeurs à la Surface. L'un comme l'autre ont d'ailleurs pris soin de ne mentionner cet épisode dans aucun des écrits qu'ils ont légué à la postérité. Quoi qu'il en soit, ils réussirent, et débutèrent la traversée d'un désert bien différent du précédent.

Un sentiment nouveau avait envahi Magnus à la seconde où il avait posé pied hors du temple. Le soleil, le ciel bleu, le sable doré, il y avait en cette partie du monde un charme qui contrebalançait la rancœur qu'il lui avait voué toutes ces années. Bien qu'il ne sut se l'avouer, la Surface avait déjà gagné son cœur. Ce n'était pas un sentiment partagé par Deep. Car comme une grande partie des êtres des Profondeurs, le djinn était particulièrement sensible aux lueurs du soleil. Alors Magnus sortit de sa paume une étrange ombrelle qu'il tendit au-dessus de son compagnon, et les souffrances de ce dernier semblèrent s'évanouir aussitôt.

Guidé par son amusant compagnon, l'empereur n'aurait pas à attendre longtemps pour faire la rencontre de cette race qu'il détestait tant. Les Humains, par l'intermédiaire de la faction des Dévots, lui offrirent toutefois une image bien contrastée de celle qu'il avait ancrée dans son esprit. Accueillant, chaleureux, généreux, les pieux hommes et femmes du Désert montrèrent au sorcier et au djinn la plus grande hospitalité dont les deux hôtes aient jamais profité.

— Une Colline dites-vous ? demanda l'empereur à un vieil homme qui leur avait donné à manger.

— La Colline, c'est comme ça qu'on l'appelle désormais, répondit son interlocuteur. C'est là que s'étaient réunis les factions humaines afin de survivre aux Nuits Pourpres, et c'est là qu'est restée une partie d'entre elles.

— Alors c'est là que mes interrogations trouveront leurs réponses, dit le sorcier en s'inclinant avec respect.

Mais les sombres sentiments de Magnus demeuraient, solides et imperturbables, et bien que sa haine se changea en profonde méfiance, il dut se retenir de succomber au charme de ces premiers humains. Les regards défieurs et les moqueries des quelques Pilleurs que l'empereur et son compagnon croisèrent ensuite n'allaient que le conforter dans cette idée.

La lointaine silhouette du Large Belt guida leurs pas, ne cessant de croître avant qu'ils ne parviennent à ses pieds. Prenant soin d'éviter Frontiere, Magnus fit étalage de ses pouvoirs pour creuser la roche plutôt que de chercher un sentier. S'il s'était permis de s'égarer dans les chemins escarpés des montagnes des Profondeurs, il ne comptait pas passer des semaines dans ceux de la Surface. Leur destination étant désormais fixée, après avoir franchi la muraille naturelle, Deep et Magnus se dirigeaient vers ce vaste et mystérieux promontoire qui s'élevait au milieu des plaines herbeuses.

La verdure, justement, enchanta l'empereur au plus haut point. Sa douceur comme sa couleur avaient peu à peu raison de la suspicion du sorcier.

"Elle fut et restera l'une des plus belles choses qu'il m'ait été proposé de voir", écrira-t-il quelques années plus tard.

Ce fut donc le cœur quelque peu allégé que Magnus se présenta un beau jour au pied de la Colline. Sa bonne humeur et son récent enthousiasme allaient malheureusement se heurter à plusieurs obstacles.