Part.III - 4.1 : L'arrivée à Norr Giliath

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Soulagé que cet infâme goût iodé le quitte dès l'instant où il atteignit la surface, Nephyl fut frappé avec tant de hargne par le Vastazul qu'il en regretta le sel des abysses. Les bourrasques le cognaient au visage comme les épaisses gouttes qui s'effondraient des Cieux. Le ressac des vagues lui donnait des hauts le cœur qui ne faisaient qu'aggraver son état. Jamais il n'avait été aussi misérable. Jamais il ne pardonnerait à ceux qui avaient osé le réduire à un tel état.

Chaque cheville, chaque poignée était enchaînée par des liens dont chaque extrémité était fermement maintenue par un membre de la fameuse garde océanienne de Vestenhall. Son regard de haine se posa sur chacun d'eux, sur ces créatures qui l'avaient transporté depuis l'empire de Magnus. Ces visages lui rappelaient alors Maelströ, et donc Abaddon. Le temps où il pouvait les considérer comme des alliés, voire des amis, lui semblait désormais révolu. Ils ne canalisaient pourtant pas là la plus grosse part de sa haine.

Trois autres individus déboulèrent hors de l'eau. Tenues et épidermes parfaitement sèches, aucun n'avait souffert de ce trajet océanique, et ni la tempête ni les vagues ne semblaient les gêner. Les pieds posés sur la surface de l'eau, ils donnaient l'impression de marcher dessus de la plus naturelle des manières. Outre son père, c'était eux, eux qui lui inspiraient la plus démoniaque forme de répulsion.

Avec le temps, Vincere avait fini par voir en Guido un être sans importance, un archidémon de second rang, une bête idiote et inutile qui prenait plaisir à suivre l'ombre de son maître. Il ne lui pardonnerait jamais. Tôt ou tard, il lui éteindrait sa pitoyable lanterne lui-même. En revanche, les deux autres paires d'yeux qui osaient le regarder, lui qui demeurait trempé jusqu'aux os, lui qui demeurait dans l'eau avec les gardes de Vestenhall, ces deux paires d'yeux il se fit la promesse de les crever.

D'autres océaniens firent soudain leur apparition, scindés en deux groupes. Le premier gardait Sohl, blessé, dont le corps souffrait des mouvements de l'océan. Le second, armé de bien plus de chaînes, gardait le corps inconscient de Samaël.

Le Profanateur ne sut retenir un fin sourire satisfait. Ælisia, elle, tout comme Guido, restait de marbre.

— Ælisia, je te jure que je te retrouverai toi et ta famille et...

Un hoquetement empêcha Nephyl d'achever sa phrase. La flamme de Guido s'anima alors, et le sorcier ne fut plus capable de prononcer le moindre mot.

"Oui, Guido, toi aussi je vais te tuer".

Sa carcasse muselée fut traînée dans l'océan comme un vulgaire sac, de même que celles de ses amis. Quel affront, quelle audace de se comporter ainsi avec le prince des Profondeurs. Prince, pourtant, il ne l'était plus. Il avait été déchu, privé de ses titres, de son héritage, de sa légende. Et quand la silhouette de leur destination se dessina au loin, fendu par un éclair aveuglant, même la petite voix arrogante en lui se tut, pétrifiée par l'idée de rejoindre la prison du Monde.

"Norr Giliath. C'est donc là que tu veux que je meurs".

Ils arrivèrent par le port de l'île, aussi étroit que protégé. Là, des dizaines de spahis scrutaient depuis le ponton comme du haut des falaises. On les attendait, et jamais n'avait-on attendu aussi illustre prisonnier. Les océaniens arrachèrent les corps des trois détenus hors de l'eau. Ils suivirent l'arcaniste, l'épéiste et le crieur devant eux. Le silence était de mise, et les hurlements de l'ouragan ajoutaient plus de tragique que nécessaire.

Le capitaine de Norr Giliath patientait sans sourciller. Il était un spahi colossal, impressionnant, même pour Nephyl. Jamais le sorcier n'avait rencontré un humain à la carrure similaire à celle de Samaël. Son visage puait la gravité et l'autorité, ses muscles sur-développés lui donnaient l'air d'une montagne. Et il en allait de même pour ses compagnons. Loin des frêles Invocateurs des geôles de son père, ces humains inspiraient une force redoutable.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant