Part.I - 2.3 : L'Invincible faction

4 2 0
                                    

Chaque jour apportait son lot de mauvaises nouvelles : des ports océaniens qui n'avaient pas eu le temps d'évacuer, des tribus asuriennes qui avaient été piétinées, d'éparses dépouilles de djinns essaimées, des camps sorciers rasés, des familles de possédés annihilées... Peu à peu, les ravages de la guerre faisaient réaliser à Magnus la dangerosité de la situation.

Lior. La simple évocation de ce nom provoquait d'irrépressibles frissons à ceux qui le prononçaient. Les rumeurs à son sujet se répandaient aussi vite qu'elles se multipliaient, et l'une d'elles, en particulier, aspirait les plus profondes craintes. Malheureusement pour la Citadelle, elle s'avérait aussi fondée.

Manès, le charismatique meneur invocateur qui s'était sacrifié en offrant son âme à l'empereur Nergal lors du traité de paix de 5, fut, de par son geste, élevé au rang des légendes de sa faction. Après sa disparition, après que le corps de l'empereur possédé l'ait "avalé", son manuscrit fut conservé parmi les trésors historiques de la faction. La prestance de Lior, le statut qu'il avait gagné au fil des ans et cette image de vengeur qu'il s'était forgé lui valurent ni plus ni moins d'hériter du manuscrit de Manès. Et l'ouvrage, l'empereur Nergal et les autorités de la Citadelle le savaient très bien, renfermait l'une des pires créatures que les Démons aient jamais engendré.

Lior ne représentait pourtant pas l'unique menace.

A ces côtés, les Invocateurs étaient menés par d'autres fins stratèges qui pressentirent la moindre embuscade élaborée par l'Ombrescence. L'attaque surprise de Ness-Terath par des Asuras : réduite à néant. Le piège tendu par les Crieurs dans le Bois Maudit : contourné avec dédain. Les attaques suicides des Djinns : balayées avec amusement. La marche de l'armée était lente, car détendue. Ils s'étaient d'ores-et-déjà assurés de leur victoire, et rien, en effet, ne semblait pouvoir s'opposer à eux. Ils ne faisaient que progresser, encore et toujours, sans jamais souffrir d'aucune perte.

Le Bois Maudit contourné, Lior et ses généraux envoyèrent un dernier ultimatum à l'empereur, accréditant la thèse que Lior préférait éviter la confrontation. Nergal ne se résigna pas. Tout comme les troupes coalisées de l'Ombrescence rassemblées autour du palais, L'empereur n'abandonnerait jamais le trône à de vulgaires Hommes.

La bataille était alors inévitable.

Brack, l'archidémon asura et général en chef des armées coalisées conseilla de diviser les troupes impériales en quatre large colonnes. Il prendrait la tête de l'une d'elle, et les trois autres archidémons administreraient chacune des autres. Craintifs de la mauvaise presse faite aux Humains, les Nécromanciens ne prirent pas part à la guerre et demeurèrent cachés dans les brumes du Bois Maudit. De même, en dépit de l'attente, aucun Démon ne vint en aide à Nergal, bien au contraire.

Les effectifs officiels rapportés dans les rapports de la Citadelle mentionnent pas moins de près de deux milles asuras revêtus de l'armure impériale de crystal, cinq cents océaniens en armes dont huit troupes d'élite dans le lac, prêtes à assurer la seule défense du pont. Une centaine de djinns des Cendres étaient de même de la partie, ainsi que cinq cents crieurs. Enfin, on comptait environ deux cents possédés dont la grande majorité était épaulée d'un second esprit, et pas moins de cent cinquante sorciers.

Outre ces quatre colonnes, une vingtaine des plus redoutables combattants fut conservée dans l'enceinte même du palais, avec pour seule mission de garantir la sécurité de l'empereur. Magnus en était donc, comme ses cinq mentors. Ce ne fut vécu en rien comme un honneur pour lui, car s'il devait rester aux côtés de Nergal, ses parents, eux, demeuraient positionnés sur le front. Sans un dernier regard, sans un au revoir, Potens et Sapia se fondirent au sein des soldats au loin, persuadés de bientôt revoir leur fils. Après tout, jamais n'avait-on vu pareille armée dans l'histoire de l'Ombrescence. Mais la bataille qui approchait n'avait rien de comparable à ce que les Profondeurs avaient pu connaître.

Il est encore aujourd'hui difficile de décrire la terreur qui s'empara des ombrescents à l'aube de l'année 157. Dans la sombre ligne de l'horizon se dessinaient les silhouettes, non pas des quelques centaines d'invocateurs de Lior, mais des milliers de démons qui les accompagnaient. Épais et terribles pantins des Invocateurs, ils assuraient la protection de leurs maîtres bien à l'abri plusieurs mètres derrière eux. Tel l'orage en approche, le sol tremblait chaque instant un peu plus fort que le précédent. Nous ne pouvons qu'imaginer l'effroi qui s'était saisi de ceux qui assistaient à cette scène aux abords du lac. Pour la plupart, ils n'étaient que de modestes créatures qui jamais n'avaient eu à se battre, de pacifiques pères et mères de familles, des marchands, des cultivateurs, des êtres dénués de toutes valeurs belliqueuses.

Leur progression se fit toujours aussi calme, macabre, et l'émoi gagna les troupes coalisées lorsque, en tête de l'armée ennemie, les ombrescents reconnurent les traits de l'arme secrète invocatrice qui se terrait dans le manuscrit de Manès. Les mythes nommaient cette chose "la Bête" : un berserker mesurant plus de quatre mètres de haut, aux griffes acérées comme nulles autres, manipulé par Lior lui-même.

Nombreux furent ceux qui devaient songer à fuir à cet instant, mais aucun ne le put, sans doute tous paralysés par l'épouvantable vision qui leur était offerte.

Au cœur de la cour d'honneur de la Citadelle, Magnus se tenait aux côtés des plus grands noms de l'époque : les sorciers qui l'avaient formé, le frère de l'archidémon asura Brack, le légendaire trio de djinns de la Fosse et bien d'autres encore. Orientant son regard autant que ses pensées vers ses parents mêlés dans la foule, le jeune sorcier récitait sans interruption les prières au nom de Phrone afin de leur donner la force de terrasser Lior et ses Hommes.

Et le silence s'imposa.

Pendant des heures semblables à des jours, les démons invoqués furent positionnés en un long arc de cercle face à leurs opposants. Trois, peut-être quatre cents mètres de front s'étaient érigées face à la Citadelle. Cette lugubre quiétude, clairsemée des grognements rauques de bêtes, ne faisait qu'accentuer la peur de chacun. La tension était à son paroxysme, une telle démonstration de force aurait pu valoir à Lior de finalement obtenir le trône contre la promesse d'éviter un bain de sang, mais le chef invocateur n'en fit rien. Il avait déjà tendu la main par deux fois, et la victoire ne pouvait désormais plus lui échapper. Sa créature, la Bête, chargea la première, suivie d'innombrables rapens, autres berserkers, squelettes ou solakes.

La Grande Guerre allait connaître son dénouement. 

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant