Part.II - 4.4 : Orphelins

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En l'espace de quelques années, le Magnus souriant et rieur avait cédé sa place à un être morose, solitaire, un empereur cloîtré dans ses appartements ou sa bibliothèque, loin des siens, même de ceux qui lui étaient proches. Il traversait là les heures les plus sombres de son règne, il le savait bien, et ça n'allait qu'empirer, notamment en 423. Dans son malheur, pourtant, le sorcier allait entrevoir une lueur d'espoir et de renouveau.

Le temps lui avait semblé figé depuis le massacre de 401 et les mois s'écoulaient avec autant de lenteur que des années. Les crises, les oppositions, Magnus était las de ces incessantes querelles. Le temps, pourtant, n'avait cessé de progresser, comme pouvaient en témoigner les années qui s'accumulaient sur le visage d'Ulsia.

Ulsia avait représenté, au cours de cette période compliquée, l'une des rares personnes vers qui l'empereur avait pu se réfugier. Ses archidémons lui étaient fidèles, mais une part de lui craignait leur honnêteté. Ses Arcanistes, bien qu'ils restaient à ses côtés, avaient ouvertement affiché leurs nombreux désaccords. Inutile de parler de Vincere qui, en grandissant, devenait chaque jour un peu plus différent de son géniteur. Ulsia était la seule à épauler Magnus et à s'adresser à lui avec sincérité, parfois même un peu trop. Elle était sa seule "amie" au sens où nous l'entendons.

Après les premières années passées à transmettre son savoir à l'empereur, Ulsia devint peu à peu une confidente autorisée à s'exprimer quant au gouvernement de l'empire. Le vieil Héliaste lui-même, qui avait vécu tout ce temps aux côtés de la divinatrice, finit par reconnaître sa légitimité. Elle dînait ainsi à la table de Magnus et Vincere, elle voyageait pour les fêtes commémoratives annuelles de Rishi sous haute escorte, elle obtint même le droit d'utiliser la bibliothèque personnelle de l'empereur où l'un et l'autre aimaient partager le thé¹. 

Mais au grand dam de Magnus, la divinatrice demeurait humaine et, au crépuscule de son existence, elle demanda à son bienfaiteur l'autorisation de retourner à Rishi, pour y mourir auprès des siens. L'empereur s'y résigna avec tristesse. Et faisant fi des critiques que cela susciterait, il l'accompagna lui-même. Les archidémons finirent par la saluer avec respect, de même que les arcanistes. L'Héliaste, notamment, avouera quelques années plus tard : "s'il est devenu possible pour un vieux sorcier comme moi de ressentir de l'affection pour une race telle que les Hommes, Ulsia en est sans aucun doute la responsable". 

Sur son lit de mort, la divinatrice demandera une dernière faveur au "seigneur qui l'avait accueilli dans son palais de cristal²". La vie des Divinateurs étant modeste et peu trépidante, elle l'exhorta à prendre soin de sa petite-fille, orpheline. En 423, Ulsia rendit son dernier souffle. 

Ce fut lors de ses obsèques que le sorcier fit la rencontre du peu de famille qui restait de sa défunte amie, en l'occurrence de la jeune enfant dont tout le village prédisait un immense avenir. Après la cérémonie, Magnus s'en alla vers la petite fille et lui lança avec empathie :

"C'est une vie de labeurs et de conseils que je te propose, une vie comme fut celle d'Ulsia. Si ton sens du devoir outrepasse tes émotions, alors sache que tu seras la bienvenue parmi les miens."

On raconte que l'orpheline rassembla ses affaires la semaine suivante avant de partir rejoindre l'empereur dans les Profondeurs. Cette enfant, d'à peine dix ans, apporta avec elle bien plus que n'aurait pu l'imaginer l'empereur. Et la simple mention de son nom faisait même sourire les ombrescents les plus réticents à sa venue. Ainsi débutèrent les aventures de la divinatrice. Ainsi débuta l'incroyable destinée de Yuki.

La jeune Yuki était d'une joie de vivre et d'une intelligence hors du commun, et bientôt sa contagieuse gaité s'empara de Magnus. Si tous avaient jadis montré distance et suspicion à l'égard d'Ulsia, sa petite-fille, elle, avait rapidement conquis le cœur de toute la cour impériale. Ou presque toute, car Vincere et elle nourrirent très tôt une violente méfiance l'un envers l'autre. Deux ans seulement après son arrivée, la divinatrice vit ses pouvoirs véritablement apparaître, justement au contact de Vincere.  

L'épisode, autrefois relégué au rang de banale anecdote, est aujourd'hui très connu. Alors qu'ils se croisaient dans un couloir du palais, Vincere et Yuki se défièrent en s'entrechoquant l'un contre l'autre. Le visage du sorcier fut alors saisi d'effroi lorsqu'il découvrit le teint laiteux des yeux de la jeune fille. Surtout, ses paroles allaient le hanter pendant longtemps, très longtemps :

"Tu seras trahi, Nephyl, par l'un de tes proches. Oui, c'est l'un de tes proches qui te conduira à ta perte..."

"Nephyl". Vincere s'étonna de l'étrange nom que la divinatrice venait d'utiliser pour le nommer.

Soupçonneuse du prince, Yuki ne cessera jamais de percevoir les ténèbres qui lévitaient autour de l'héritier du trône. Après la rupture entre empereur et Ombrescence, la jeune divinatrice allait attiser l'opposition entre père et fils, malgré elle. 

La relation qui fut nouée entre Magnus et Yuki était évidemment très différente de celle qu'il avait pu entretenir avec Ulsia. La nouvelle divinatrice était jeune, très jeune, une enfant dont il allait avoir la charge et la responsabilité. De plus, le fait que Yuki ait perdu ses parents, tout comme lui, le touchait particulièrement. Le sorcier abordera une fois encore la figure du père, mais pas comme avec son fils. Il se chargea de l'éducation de la fillette, lui prêta une oreille attentive, et se tourna vers elle quand ses tourments politiques l'affectaient trop. Très vite, Yuki vit en lui le père qu'elle avait perdu³.

Vincere, alors en pleine "adolescence", voyait cette relation d'un regard noir. Il grognait d'autant plus de constater avec quel fanatisme Yuki admirait l'empereur. La jalousie qu'il taisait le poussait à se rapprocher toujours un peu plus de son précepteur, Samaël, avec qui, lui aussi, nourrissait une sincère relation fraternelle.

Arriva un jour où Vincere fit part au possédé de sa suspicion à l'égard de la divinatrice. Samaël lui rappela l'époque compliquée que traversait l'empereur, et le fait que le prince n'affichait pas ce que l'on pourrait appeler un véritable soutien à l'égard de son paternel. Si le prince lui ouvrait ses bras, Magnus sauterait sur l'occasion de renouer avec lui.

Pour le précepteur, ça ne faisait aucun doute. 



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1. Le thé fut importé de la Surface aux Profondeurs par Ulsia, lorsque, en guise de cadeau après ses dix premières années de service, elle offrit à Magnus une boîte emplie de feuilles séchées à infuser. Souvent, le souverain et sa conseillère aimaient s'exiler dans les appartements privés ou la bibliothèque pour aborder les sujets les plus complexes autour d'une tasse chaude.  

2. A la fin de son séjour à la Citadelle, Ulsia s'adonna à la poésie. "Le seigneur du palais de cristal" est aujourd'hui son œuvre la plus célèbre.

3. Bien que l'un comme l'autre se référeraient très vite à une relation frère/sœur plutôt que père/fille.

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant