Part.IV - 1.3 : Celle qui le craignait

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Les noms du Généalogiste enfin tombés, Nephyl prit un malin plaisir à enfermer l'arcaniste dans l'une des geôles où croupissait jadis la mère de Sohl. Sa mort ne serait pas aussi rapide que celle des autres, pas aussi douce, se promit-il. Aussi aimait-il souvent descendre dans les souterrains, dissimulant la crainte inavouée que le vieux sorcier puisse d'une quelconque manière lui échapper. Il y avait pourtant quelque chose d'autre dans les tréfonds de la Citadelle qui le fit frémir bien plus que l'ancien conseiller de son père.

Harangué par les pouvoirs mystiques des Profondeurs, Nephyl ne cessait de sentir sa force et sa magie gagner en puissance, dépassant de très loin les limites qu'avait autrefois défini l'entourage de Magnus. Qui plus est, la mort de son paternel avait, semblait-il, décupler ses talents tout autant que ses penchants meurtriers. Il voyait au-delà de ce que ses yeux lui montraient, entendait par-delà les sons qui pénétraient ses oreilles, et ressentait les plus infimes variations d'énergie du domaine. Il fut le seul à remarquer que, au plus noir des cachots du palais, se terrait une créature à l'aura colossale. Une créature qu'il pensait être Phrone lui-même.

Bien-sûr, le jeune empereur savait quelle créature l'attendait. Son expérience à Norr Giliath avait sans doute été l'un des événements les plus marquants de ces dernières années, après l'assassinat de son père. Une part de lui rechignait à la rejoindre, et s'étonnait qu'elle ne vienne pas à lui. En dépit d'une intense réflexion et de recherches supplémentaires dans la bibliothèque de son père, il ne parvenait pas à mettre un nom sur cette chose qui l'intriguait tout autant qu'elle l'inquiétait. Très vite, il se résigna à la rejoindre. Lorsqu'il passa devant la cellule du Généalogiste, ce dernier s'exclama d'une voix qui résonna en écho :

— Tu joues avec des forces qui te dépassent, Vincere.

Tendu comme rarement, Nephyl ne prit pas la peine de corriger l'arcaniste. Il se contenta de progresser dans les pièces suivantes, empruntant les escaliers les plus méconnus jusqu'à atteindre le fond des sous-sols ou aucun serviteurs n'avait jamais osé mettre les pieds. Rauque, une voix résonna soudain dans les ténèbres :

— Le prince devenu empereur. L'empereur qui deviendra dieu...

— Vous vous donnez de la peine pour rester discrète.

— Les noms.

— Puis-je demander pour quelle raison vous les désirez tant ?

— Pour les mêmes raisons que Magnus. Ils me sont précieux, tout comme lui. Ils me le sont bien plus, à vrai dire.

— Les Humains vous sont précieux ?

— Ceux-là, en effet. Inestimables, même.

Nephyl sentit le courage lui revenir un tant soit peu.

— Qui êtes-vous ? Votre présence ne m'est pas totalement étrangère, et pourtant, je n'ai aucune idée de ce que vous êtes.

— Je t'ai demandé les noms.

L'empereur fit un pas en arrière.

— Je sais qu'il traquait quelque chose, il y a longtemps, une chose qui semblait menacer son empire. Toutes ses rumeurs que véhiculaient les asuras, tous ces ténèbres autour de Ness-Terath... Et puis le Blasphémateur qui disparut soudainement avant d'être remplacé par le Profanateur. Il avait beau ne rien nous dire à ce propos, nous avions nous nos théories. Une menace qui le faisait frémir, lui. Quand vous êtes venu à ma rencontre, à Norr Giliath, j'ai compris que c'était vous, bien que j'ignore toujours ce que vous êtes.

— Impertinent...

— Qu'est-ce qui vous retenait ainsi loin de lui ? Pourquoi ne pas l'avoir détruit de votre propres mains ? Pourquoi ne jamais être venu à la Citadelle avant ce jour ? Pourquoi avez-vous besoin de moi pour réunir les Descendants ?

Bien que cela lui coûtait de l'admettre, Nephyl avait déjà une partie des réponses aux questions qu'il venait de poser : Magnus. Magnus et sa magie avaient sans aucun doute réussi à repousser la chose avec laquelle son fils conversait à cet instant.

Ces interrogations, justement, se confrontaient-là au plus glacial des silences. Comme s'il était encore possible, la pièce devant plus sombre, plus glauque, avant qu'une chose ne vint brusquement saisir la main de Nephyl.

— Si tu veux le savoir, alors accepte ce pacte de Silence.

L'empereur n'hésita pas longtemps, trop curieux d'en savoir plus sur son étrange invité. Il serra donc quoi que fut ce qui se tenait entre ses doigts.

— Magnus représentait une menace pour moi car il était doté d'un pouvoir terrifiant. Un pouvoir dont tu as hérité, un pouvoir qui surpasse le sien. Ce pouvoir, c'est une part de ce qui m'a jadis amené au monde. Ce pouvoir, c'est ma moitié qui en est à l'origine.

— De quoi parlez-vous ?

— De l'Aíę Ahlbå. Je ne pouvais pas approcher Magnus pour la même raison que je ne peux pas entrer en contact direct avec toi.

— Vous êtes plus proche de moi que vous ne l'avez jamais été de lui. Est-ce que vous voulez dire qu'il était encore plus puissant que je ne le suis aujourd'hui ? s'agaça Nephyl.

— Tu n'as aucune idée d'à quel point il était grandiose. Mais comme je te l'ai dit la dernière fois, tu seras amené à réaliser de plus grandes choses encore. Mais pour cela, tu vas devoir m'obéir.

Il demeura pensif quelques instants. Bien qu'il y avait encore de la crainte en lui, ce sentiment d'être en présence de Phrone apportait au jeune sorcier une sorte de réconfort et de confiance qu'il ne savait décrire.

— Je ne peux pas vous donner les noms des Descendants, pas encore, reprit-il. Je vais les réunir, et les soumettre au rituel d'un de mes soldats afin d'être sûr que le Généalogiste ne m'ait pas trompé. Alors seulement, je vous les apporterez. Tous.

— Soit. Et tu vas faire quelque chose d'autre pour moi.

— Quoi ?

— Tu vas m'aider à provoquer une crise majeure dans le Royaume Indépendant d'Eis, une crise qui affaiblira le pouvoir en place avec tant de violence qu'il en sera forcé à réunir le Grand-Ordre élémentaliste.

— Le Grand-Ordre ?

— L'heure est venue d'abattre les Calamités sur ce monde. Tu te chargeras de détruire la Colline. Un autre de mes partisans se charge d'ores-et-déjà de perturber l'Océan des Âmes.

— Vous voulez que je tue les élémentalistes aussi ?

— Non. Mon Pyromancien s'en chargera.

— "Votre Pyromancien" ? répéta-t-il.

— De redoutables créatures ont déjà rejoint ma cause, et le Pyromancien est ma Surface, comme j'ai déjà un être prêt à devenir mes Cieux. Fais ce que je te demande, et tu accompliras ton destin. Tôt ou tard, le monde me reviendra et tu obtiendras les Profondeurs. Tu seras mes Profondeurs. Ne me déçois pas.

— Je ne vous décevrai pas, mais vous savez très bien que vous ne trouverez pas d'être plus puissant que moi dans ce domaine.

— Oh... Détrompe-toi, jeune sorcier. L'empire ne représente qu'une infime partie des terres de Phrone. Et tu es loin d'être le plus puissant de ses enfants encore en vie

La Colline - Le Mythe des Deux SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant