La Colline - Le Mythe des Deux Sorciers

Part.IV - 4.3 : Yuki

Les multiples entreprises lancées par la Colline pour s'allier avec diverses factions de la Surface s'étaient toutes conclues par un échec cuisant. Nephyl ne s'en était pourtant pas réellement inquiété. La menace élémentaliste, elle, le préoccupait sincèrement. Lorsque Yuki demanda audience à son maître, celui-ci pensait sans doute que le Sanctuaire de Pierre serait le sujet abordé. Il n'en était rien. Aussi, cette conversation avec la divinatrice prit une tournure inattendue.

— Je vous ai menti, débuta-t-elle. Tout du moins, j'ai omis de vous préciser que Fiel Scavar ne reviendra pas vivante de cette expédition.

— Voilà qui est fâcheux, mais pas tragique, rétorqua le sorcier avec froideur.

— Je vous ai déçu...

— Déçu ? s'étonna-t-il. J'ai beau ne plus pouvoir lire tes pensées, Yuki, je sais pertinemment que tes sentiments à mon égard ne sont pas aussi pures que ceux de mes autres soldats.

— Vous pardonnerez à une vieille femme la nostalgie d'un autre temps...

Nephyl ne s'offusqua pas de ce commentaire, et il se contenta de marquer un mince silence avant de reprendre :

— Je ne suis pas aveugle, je sais que tu n'as eu de considérations que pour mon prédécesseur. Et peut-être que ce que tu appelles "omission" n'est autre que la fameuse trahison que l'on m'a prophétisé. Qu'en penses-tu, Yuki ?

La vieille femme ne répondit pas.

— J'ai pris la décision de partir pour la Colline, ajouta l'empereur. Il est temps de réduire en cendre ce maudit promontoire.

La terreur se dessina sur le visage de la divinatrice.

— Vous ne pouvez pas, lâcha-t-elle avec autant de retenue que possible.

— Te dresseras-tu face à moi ? demanda-t-il avec un large sourire aux lèvres.

— Si vous vous rendez à la Colline, vous mourrez¹. 

L'hésitation tirailla le sorcier quelques instants.

— Une autre vérité que tu as omise de me préciser ? l'interrogea-t-il.

La vieille femme approcha alors tout près du jeune empereur avant de plonger son regard dans le sien, comme rarement auparavant.

— Je crois que l'heure est venue pour moi de confesser quelques autres vérités que je ne vous ai pas dites... avoua-t-elle.

— De quoi parles-tu ?

— Il est des choses que je préférais garder pour moi jusqu'à présent, mais je ne peux...

— Pourquoi maintenant ?

Elle ne répondit pas.

— Azoraï Lyaren est l'une des pièces maîtresses des terribles heures qui attendent ce monde, tout comme vous, reprit-elle. Fiel Scavar, Dante, vos commandants... Ils feront ce qu'ils ont à faire, mais aucun d'eux n'a un destin aussi important que celui de l'épéiste, ou que le vôtre.

— Me confirmes-tu que j'atteindrai mes objectifs ?

— Ce que je peux vous promettre, c'est que le chemin qui vous attend est jonché d'obstacles plus grands que ceux que vous pouvez imaginer. Et rien ne se passera tel que vous l'imaginer.

— Et qu'est-ce que j'imagine, Yuki ?

— Vous vous voyez terrasser la Colline, utiliser Yursan et sa famille pour atteindre Highleaf en quête d'une créature que vous pensez avoir identifiée aux côtés de cette chose qui vous donne des ordres. Vous pensez pouvoir faire s'agenouiller tout ceux qui se mettront sur votre route, mais vous n'avez aucune idée de la puissance des forces qui vont bientôt se déchainer sur les trois domaines.

L'amusement venait de quitter les traits du sorcier, comme s'il accordait une confiance totale aux paroles de la vieille femme.

— J'ignore ce que Magnus a fait pour m'empêcher de lire en toi comme je le faisais par la passé, reprit Nephyl. J'ai beau me concentrer de toutes mes forces, tes pensées me sont brouillées. J'aurais adoré voir ce que l'avenir me réserve. J'aimerais te croire, mais nous savons très bien que la confiance n'a jamais été une vertu que nous partageons toi et moi.

— Dans ce cas laisse-moi te révéler quelque chose, confirmer des bruits de couloirs que tu as dû entendre dans ce palais, des rumeurs séduisantes qui s'avèrent vraies. Votre mère vous a prédit un avenir grandiose, mais elle vous a aussi prédit autre chose, une chose que Magnus ne vous a jamais confié par peur que vous vous en serviez contre la Colline.

— Parles.

— Vous ne pouvez être défait par un Humain. Aucun homme ne pourra jamais vous vaincre.

Cette ultime révélation ne parut pas avoir l'effet escompté. Nephyl scrutait la divinatrice sans broncher.

— Dans ce cas, comment pourrais-je mourir en me rendant à la Colline ? demanda-t-il alors qu'un sourire narquois apparaissait lentement sur son visage.

— Il n'y a pas que des Hommes qui vivent en ces terres, répondit-elle mystérieusement.

Elle fit alors deux pas en avant, observant les vastes étendues des Profondeurs depuis la salle d'honneur, puis elle ajouta sans que Nephyl ne lui demande :

— Oui, Apsara est prête. Je me suis permise d'envoyer Dante la récupérer à Rishi. Votre nouvelle divinatrice arrivera d'ici peu. Je ne doute pas qu'elle vous sera très dévouée et utile, bien qu'elle ne puisse percevoir les choses que je perçois. Et pourtant, je ne pense pas que mes pouvoirs me soient d'une grande aide pour voir l'évidence. Qui suis-je face à la sagesse de vos parents ? Qui suis-je face à Nephee et Magnus ? Je n'ai jamais cru qu'en votre père, prince. Il est celui que j'ai choisi de suivre, celui qui m'a élevé et permis de devenir celle que je suis. Vous et moi n'avons jamais réussi à nous entendre, j'en conviens, mais si Magnus a pu garder foi en vous, jusqu'à la fin, alors dans ce cas, je continuerai de croire moi aussi en vous.

Et Yuki s'effondra alors au sol, la poitrine perforée par le poing de Nephyl, de la même manière que Magnus était tombé avant elle. 

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1. Yuki tenta là l'un des plus gros coups de bluff de l'Histoire. En faisant croire à Nephyl que la mort l'attendait à la Colline, elle espérait l'effrayer suffisamment pour renoncer à son projet.