Le fantôme de Berbridge

Sixième fragment : Elise

IX- Emplettes

-Qu'est ce que tu penses des hommes à moustaches ?

La question de Naël me prend de court. Sans délaisser le carnet à la couverture de cuir qui me fait de l'œil depuis que je suis rentré dans la boutique, je hausse les épaules.

-Banal. Et ça me fait penser à Oncle Hector donc...

-Ugh, pas la peine d'être si désobligeante.

Je retiens un rire et le rejoins devant un étal d'encres et de plumes.

-Mais je suis sûre que ça t'irait à merveille, cousin. Bien qu'il te faille certainement quelques années avant de parvenir à un résultat convaincant.

-Je ne pensais pas à moi! Bien que tu marques un point. Ça me donnerait sûrement un air plus mature...

Il s'interrompt tout en se caressant le menton.

-Mais je pensais à Ernan.

-Le directeur ? Ce grand escogriffe à peine capable de regarder ses élèves dans les yeux ?

Il grimace et s'éloigne.

-Tu n'as aucun goût en homme.

Possible oui. Mais je ne peux pas me forcer à aimer la moustache. Ou les individus de sexe masculin.

X-La lumière

On parle souvent de Berbridge dans les livres d'histoire. On en parle encore plus dans les journaux. Pas un jour sans que l'un des anciens élèves ne fasse une démonstration grandiose de ses capacités. Comme Proserpine à l'époque, ils fascinent le commun des mortels. Aucune sphère n'échappe à leur influence. Art, littérature, politique, recherche... La réalité, c'est que Forzerand fonctionne uniquement grâce aux anciens élèves de l'Académie. En termes de proportion, nous ne représentons qu'un dixième de la population, même en comptabilisant celles et ceux qui abandonnent leurs pratiques en cours de cursus. Ce faible taux ne nous empêche pas d'être mis en avant en permanence. Notre président lui-même a épousé une académicienne, démontrant par la même occasion que la normalité des couples mixtes n'est pas un débat.

Et pourtant.

Chacun d'entre nous sait très bien ce qu'il en est en réalité.

Franchement, qui aurait envie de sortir avec l'un d'entre nous ?

Berbridge a choisi de diviser ses classes en cinq spécialités, misant sur le fait qu'il est très rare qu'un être humain normalement constitué soit capable de développer plus d'un de ces talents. Exception faite des prodiges comme Mulberry.

Tout d'abord, il y a nous. Médiums, nécromanciens, communicants, nous avons plusieurs noms. Aucun n'est officiel, comme le veut le décret référençant les pratiques et leur contrôle.

Nous communiquons avec les défunts, nous parlons aux morts, notre quotidien est peuplé de fantômes. Et tous ne sont pas aussi rigolo que Barnabé, l'esprit des cabinets. C'est un pouvoir difficile, et je crois que beaucoup d'entre nous ont fini à l'hospice. Ou au fond d'un précipice, quand ce n'est pas au fond d'une bouteille d'alcool.

Il y a les empathes, comme Naël. Celles et ceux capables de déceler les émotions, les pensées de leur entourage. Les plus doués peuvent aussi les manipuler. Mais l'épuisement dû à cette pratique en fait des élèves particulièrement rares. Il n'y a qu'une vingtaine de premières années dans la classe de Naël à cette rentrée. Moins de la moitié sera encore là dans un an.

A l'inverse, les classes les plus remplies se trouvent dans deux spécialités : les Clairvoyants et les Rêveurs. Les derniers peuvent utiliser la science du rêve et des cauchemars, manipuler le corps et le sommeil. Les Clairvoyants sont dotés d'une intuition qui dépasse l'entendement. Leur âme lit l'environnement, décrypte chaque indice. Comme un super radar magique ou quelque chose de cet ordre là.

Ils sont nombreux. Mais en vérité, ils sont peu à être bons dans ce qu'ils font, se contentant de petites choses telles que décrypter la météo ou apaiser le sommeil des nourrissons. Beaucoup de futurs policiers et de thérapeutes dans les rangs.

Et puis il y a les autres... Les voyageurs. Je n'en ai jamais rencontré en vrai, et, honnêtement, je ne suis pas sûre d'en avoir très envie. Nous sommes tous des infréquentables. Eux ont la réputation d'être carrément imbuvables.