27ème fragment : Elise, Hyacinthe

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XXXIX - Comme une épée de Damoclès

Un jour, deux jours, cinq jours, une semaine. On a parfois l'impression que le temps avance si vite qu'il nous échappe. Depuis mon entrevue mystérieuse avec Ernan, je n'ai pas l'impression que ma vie ait significativement changé. J'ai toujours un frisson d'appréhension quand j'approche de la tour Nord, mais de façon plus globale, ma méfiance s'est assoupie. Même Naël qui était à deux doigts de me mettre dans un train pour le manoir Lecendre n'en parle plus autant.Il faut dire que le rythme de nos cours s'est accéléré. Après une première semaine très théorique, nous creusons enfin dans les Sciences Noires. Et c'est beaucoup moins amusant que ce que les gens normés pensent.

Ça a pour nous à peu près autant d'attrait que les sciences classiques. Beaucoup de bla bla, de théorie, de compréhension. Et en première année, très peu d'applications.

Naël n'avait pas tort l'autre soir quand il parlait du fait que la plupart des élèves se contenterait toute leur vie d'un travail médiocre, correspondant à leur don médiocre. Une partie des empathes termine psychologue ou à l'hôpital. Les communiquants débarrassent les maisons des esprits un peu ronchons. Mais globalement, pas de grosses démonstrations et de pouvoirs éclatants. C'est peut-être ce qui est le plus compliqué à comprendre pour les gens de l'extérieur, qui nous voient comme une sorte d'élite.

En réalité, nous sommes juste un pan de la société comme un autre, avec aussi peu d'importance.

Quand la cloche sonne à l'intercour, je ramasse mes affaires rapidement et traverse le flot de mes camarades pour rejoindre le couloir en premier. Je dois retrouver Maia et Lucy dans la cour. Maia est d'une humeur inconstante en ce moment, et je ne sais jamais quelle facette de sa personnalité je vais rencontrer. Si Lucy ne faisait pas tampon, je pense que j'aurais pris mes jambes à mon cou. En passant devant la tour des dortoirs, je jette un regard au premier étage. Même si les détails de la fête commencent à s'effacer dans mon esprit et que la possibilité de ma mort prochaine est apparue entre-temps, je ne peux pas m'empêcher de penser à Hyacinthe. Naël a fouiné un peu partout, tout comme moi à la bibliothèque, mais personne n'a jamais entendu parler d'une élève décédée ici. Encore moins décapité. J'en viendrais presque à douter de ma raison.

Mais non Elise, nous aussi on l'a vu!

Je ne suis pas sûre que ça la rassure, imagine que nous aussi n'existions que dans sa tête?

Taisez-vous, vous la faîtes douter.

Je devrais peut-être renvoyer la fratrie infernale à la pension...

-Elise!

Je me retourne et manque de buter contre une racine décharnée, mais particulièrement agressive.

-Lucy. Je ne devais pas vous retrouver près du grand chêne?

Elle sourit et se penche vers moi comme une conspiratrice.

-Oui c'est ce qu'on devait faire, mais je crois que miss Ethan est un peu occupée...

Elle me prend par le bras et m'entraîne vers l'arbre, en restant tout de même à bonne distance. Je plisse les yeux et remonte mes lunettes pour apercevoir ce qu'elle me désigne

Maia discute avec un garçon plus vieux. La discussion semble animée et mon amie respire un bonheur qu'elle ne nous manifeste plus autant.

-Ça fait une semaine que le soir elle s'éclipse... J'ai découvert pourquoi pas plus tard que ce matin.

Lucy et Maia partagent la même chambre depuis que Maia est allée réclamer à corps et à cri son besoin de cohabiter avec son amie à l'intendance, le bureau qui gère ce genre de détails triviaux.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant