XXIX - Boire des orages
Je déteste avoir tort, comme tout un chacun. Pour être tout à fait honnête avec vous, le fait de comprendre les sentiments des gens et de pouvoir les lire comme des livres ouverts aide beaucoup à manipuler la vérité pour qu'elle corresponde à ma vision des choses. Je suis le personnage principal de ma propre histoire, et généralement ce sont les autres les méchants.
Mais aujourd'hui, que ce soit dû aux effets du sevrage ou pas, je le reconnais, j'ai eu tort.
Loïs avait raison, je me prends une claque monumentale avec ce cocktail. Le fait que ce soit mon quatrième verre n'aide pas non plus, je dois bien l'avouer. Non pas que ça soit désagréable. Je fais le tour des convives, je danse et je chante sur le rock qui peine à couvrir le bruit des conversations. Je ne suis pas le seul à être dans un état très joyeux.
J'ai croisé Maia,.
Je crois que nous avons dansé ensemble?
Elle avait les yeux brillants et les pupilles dilatées, et ce n'était pas seulement dû à l'éclairage.
Je m'affale sur un canapé avec un soupir d'aise. La pièce arrête de tourner pendant quelques secondes salvatrices. Je sors un paquet de cigarette de ma poche avec étonnement. Je ne me souviens pas en avoir pris un à qui que ce soit, mais peut-être que l'alcool réveille mon côté kleptomane.
Je ris tout seul et sort une cigarette avant de me tortiller pour fouiller dans mes poches.
Kleptomane, mais pas plus intelligent qu'en temps normal.
Pas moyen de mettre la main sur un briquet.
-Du feu?
Je lève la tête vers l'homme qui m'a adressé la parole et déglutit. Tout en essayant de me redresser pour me composer une apparence un peu plus correcte, je louche vers son visage.
Il est vraiment très beau. Je ne l'ai jamais vu dans les premières années et comme nous ne portons pas nos broches ce soir, je n'ai aucune idée de sa spécialité. Ce que je sais c'est qu'il est vraiment charismatique. Ou tout autre adjectif pour éviter de dire foutrement sexy.
Il n'attend pas ma réponse et s'assied à côté de moi comme si je l'y avait invité. Je me penche, la cigarette au bord des lèvres et je le laisse m'allumer. Nos regards se croisent et je peux voir à quel point ses yeux sont noirs, ce qui crée un contraste avec ses cheveux blonds. Sa chemise légèrement ouverte dévoile un torse que j'aimerais bien explorer un peu plus.
Il me sourit et désigne mon verre.
-C'est Travis, un quatrième année, qui les fait. On ignore quelles doses il met et quels ingrédients exactement, mais je crois qu'il est responsable de l'état déplorable de beaucoup de monde.
Je lève mon verre pour rendre hommage au dénommé Travis.
-Béni soit ce brave garçon. Attends, tu me trouves dans un état déplorable?
La fossette qui se creuse quand il sourit est adorable et j'aimerais bien l'embrasser.
-Pas encore. Mais à ce rythme, ça ne saurait tarder.
-Trop honnête. Tu es ?
- William Field. Et toi?
-Naël Lecendre.
Il hausse les sourcils, surpris.
-Lecendre? Comme Proserpine Lecendre?
Je balaie l'air de mes mains pour l'interrompre.
-Oui oui, ceux-là même. Tu viens de perdre 10 points en évoquant ma tante décédée dans l'année, bien joué.
-Oh, dommage... J'avais beaucoup de points au départ?
Son sourire charmeur me fait comprendre qu'il fait bien exprès d'être volontairement et outrageusement séducteur. Je tire sur ma cigarette en riant.
-Peut-être bien...
-Et qu'est ce qu'il y a à la clé?
Je m'apprête à lui répondre avec une sincérité dénuée de toute classe quand l'irruption d'Elise dans mon chant de vision me détourne des beaux yeux de William. Elle a l'air défaite, et cherche quelqu'un, sûrement moi, du regard.
Mon camarade de canapé suit mon regard et son sourire se fige.
-Désolé William, le devoir m'appelle.
-Attends.
Il me saisit le bras alors que je me lève et je me fige. La sensation de sa main sur mon bras est brûlante, même à travers mes vêtements. Ma bouche s'assèche et une aigreur désagréable me remonte dans la gorge. Seigneurs, que je ne vomisse pas sur les chaussures du beau blond aux yeux noirs.
-On pourrait peut-être se revoir plus tard me susurre t-il en se penchant à mon oreille.
Tous mes poils se dressent et je recule brusquement, m'arrachant à son contact. Le cœur battant, je le regarde avec une expression qui le fait reculer prudemment.
-Ça ira. Au revoir.
J'écrase mon mégot dans un cendrier et m'éloigne en titubant. Lorsqu'il s'est penché vers moi, un afflux de sentiments qui n'ont rien à voir avec l'alcool se sont emparés de moi. C'était mon instinct de survie, surgi des profondeurs de mon cerveau anesthésié qui me hurlait de m'éloigner.
Je jette un regard en arrière vers William qui m'observe sans bouger du canapé. Je frissonne et je rejoins Elise.
XXX- Gueule de bois
-Debout!
La lumière qui surgit dans la chambre me fait le même effet qu'un saut d'eau froide. Un grognement presque humain m'échappe pendant que je rabat mon oreiller sur ma tête.
-Naël, il faut qu'on aille à l'Académie aujourd'hui! Tu me l'as promis hier soir.
J'essaie de me refaire le film de la soirée, mais j'avoue que les détails en sont plutôt flous. Je sors la tête prudemment, les yeux plissés. Elise se tient devant mon lit, les bras croisés, déjà habillée et prête à me jeter du lit si j'en crois la lueure de détermination dans son regard.
-Ce qu'on promets sous alcool ne compte pas, tu devrais le savoir à force.
Loin de se décourager, elle s'assoit sur mon lit.
-J'ai besoin d'en savoir plus sur ce fantôme.
Je réfléchis quelques secondes avant de comprendre de quoi elle parle.
-Le fan... Ah, l'espèce d'apparition que tu as vu hier soir? Laisse tomber, parlons-en à un professeur et il nous en débarrassera.
-Il ne s'agit pas d'un rat Naël! Je sens qu'il y a quelque chose de pas net avec Hyacinthe.
-Sans vouloir te vexer Elise, tu n'as pas vu beaucoup d'esprit dans ta vie. Est-ce que ton analyse est bien pertinente?
Ma phrase est à peine finie que je la regrette déjà. Elle se lève en silence et se dirige droit vers son sac.
-Elise, attends, ce n'est pas ce que je voulais dire! C'est juste que, des fois, on ressent des choses qui ne sont pas toujours justifiées, c'est tout! L'ambiance de la soirée, tout ça...
Je ne sais pas qui j'essaie de convaincre, mais son regard sceptique m'indique que je ne la trompe pas.
-Si tu veux juste rester ici à penser aux garçons que tu n'as pas pu draguer parce que tu as dû t'occuper de ton boulet de cousine, pas de soucis, je m'en remettrais.
-Mais n'importe quoi!
Je marmonne et me lève pour me traîner vers mes habits. Elle n'a pas tout à fait tort. L'accident avec William Field me reste sur l'estomac. Je n'avais jamais ressenti ça avec quelqu'un auparavant. Ce besoin urgent, viscéral de m'éloigner. Pourtant, j'ai côtoyé des gens pas très sympas au lycée.
-Bon. Par où tu veux commencer?
Son visage s'éclaire et je regrette de n'avoir encore une fois pensé qu'à moi.
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Le fantôme de Berbridge
AventuraElise Lecendre a un don. Comme beaucoup de jeunes adultes de Forzerand, elle possède des capacités que l'on pourrait qualifier d'ésotérique. Accompagnée de son cousin et ami Naël, elle commence ses classes dans la prestigieuse Académie de Berbridge...