CV - Les voix dans ma tête
Sitôt que William commence à parler, je sens l'énergie de la Source s'étendre autour de nous. La langue utilisée est de l'ancien Forzerandois. C'est la langue par défaut de la plupart des rituels. Elle a le mérite d'être claire et expressive, même si une erreur de grammaire est toujours possible, comme nous l'enseignent nos professeurs de l'Académie.
Mais William est sûr de lui. Il a corrigé chacun de mes passages pendant des heures. Il ne veut laisser aucune place à l'échec.
Le grave de sa voix s'éclaircit au fur et à mesure de son premier paragraphe. Une prière à la source, pour se faire connaître et qu'elle connaisse nos intentions. Mes doigts s'agrippent à mon parchemin quand je prends la parole à mon tour.
Hyacinthe se tient à quelques mètres, sans me quitter des yeux. Je ne me laisse pas déconcentrer pour autant.
J'arrive à un moment de silence et en profite pour étudier la pièce. Les bougies vacillent. Le cœur de la source est si rapide qu'il ne ressemble même plus à un battement. On dirait que quelque chose veut en sortir, comme un œuf sur le point d'éclore.
Je comprends en voyant un rai de lumière s'en échapper.
Elle se fissure.
Elle reprend sa liberté grâce à l'énergie terrestre nécessaire que nous lui fournissons. Mes pieds sont fermement ancrés, et j'ai l'impression que même si je le voulais, je ne pourrais pas les bouger.
Une pensée parasite s'infiltre dans mon esprit alors que je reprends ma récitation. Et si nous échouions? Si le rêve de Maia se concrétise? Et si...
Je me reprends, fronce les sourcils. Ma vision est troublée. Pas seulement par l'angoisse. Il y a comme un voile qui se répand dans la pièce. William s'agite, il le voit aussi.
-Elle essaie de vous déstabiliser, déclare Hyacinthe, assez fort pour que William et moi puissions l'entendre. Elle ne veut pas vous être attachée alors elle essaie de vous déconcentrer pour que vous fassiez une erreur. C'est comme ça qu'elle a perturbé le rituel final de son éveil.
J'essuie une goutte de sueur qui perle à mon front. Ma bouche est sèche. Je me sens oppressée, comme si une force enserrait ma poitrine et tentait de m'étouffer. Face à moi, William grimace et fait des mouvements nerveux de la main, comme s'il écartait des insectes agaçants.
Je me mords les lèvres si fort que la douleur me permet de reprendre pied.
J'entends des murmures autour de moi, des voix. Connues, inconnues, des voix du passé, des voix que je ne connais pas encore. Mon coeur se serre. J'entends Naël crier. J'entends les gémissements de douleur de ma grand-mère. J'entends les murmures de Hyacinthe, alors que je la vois face à moi, son regard inquiet et ses lèvres closes.
Plus pernicieuse encore, la voix de ma mère. Elle recouvre les autres qui ne sont plus qu'un murmure. Elle me dit des choses terribles, des reproches, des méchancetés, des choses que je ne l'ai jamais entendu dire et que, je l'espère, elle n'a jamais pensé.
Tu n'as jamais été à la hauteur et tu ne le seras jamais.
Incapable de pleurer pour ta propre mère, mais obsédée par un vulgaire esprit.
Tu n'auras jamais ce que tu veux et tu finiras seule.
Si seulement tu n'étais pas aussi médiocre.
Même les esprits te fuient.
Je vois William lutter pour rester debout, une de ses mains plaquées contre une de ses oreilles, et je comprends qu'il doit faire face à ses propres démons lui aussi.
La peur me tords les entrailles. L'échec m'est soufflé par toutes les voix que j'entends autour de moi. Par la mienne également, plus sournoise, dans un coin de ma tête. Mon saboteur intérieur est satisfait de cette situation. Un mal de tête plus violent encore me vrille le crâne et je sens un liquide chaud couler de mon nez jusqu'à donner le goût du sang à mes lèvres. Je les essuie rageusement.
Il est hors de question que ça se finisse mal cette fois.
Hyacinthe se rapproche de moi, hésitante. Les yeux brillants, les joues rouges comme sous le coup de l'effort, elle cherche mon contact. Sa main est sur mon bras, et à travers le tissu je la sens. Je sens son toucher. Je manque de bafouiller. Un regain d'énergie me saisit.
Notre récitation est presque finie. Nous y sommes. William le sait aussi, il me jette un regard où brille le succès. Je serre les dents et m'apprête à réciter la dernière phrase.
La porte qui s'ouvre violemment m'en empêche.
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Le fantôme de Berbridge
AdventureElise Lecendre a un don. Comme beaucoup de jeunes adultes de Forzerand, elle possède des capacités que l'on pourrait qualifier d'ésotérique. Accompagnée de son cousin et ami Naël, elle commence ses classes dans la prestigieuse Académie de Berbridge...