56ème fragment : Elise, Hyacinthe

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XCI - Alliance

Je repose le carnet sur mes genoux. Nous sommes dans la chambre de William dans la partie pension de l'Académie. Son colocataire n'est pas là, et je suis présentement assise sur son lit. Mes mains tremblent légèrement en tournant les pages volantes que m'a passé William. Je relève la tête vers lui, une pointe d'espoir dans la poitrine. Il sourit, fier de son petit effet de surprise.

-J'imagine que je n'ai pas besoin d'expliciter plus en détail? Tu as les moyens de le faire, Elise. Il faut un Communicant pour ça, et tu es l'héritière de Paul Lecendre, de Proserpine Lecendre. Tu as ce qu'il faut en toi, et tes notes montrent que tu as au moins leur potentiel. La source connaît également ton sang, celui que Paul a versé lors du rituel d'éveil. A nous deux, on pourra faire ce qu'on voudra.

Je pose les feuilles sur le lit et lisse les plis de ma jupe pour occuper mes mains. Je choisis soigneusement mes mots avant de répondre.

-Qu'adviendrait-il de l'académie? De Mulberry? Comment réagirait le ministère? Toutes ces questions ne peuvent pas être occultées.

Il s'accroupit à mes côtés, les yeux illuminés par ce qui ressemble à de l'espoir.

-Le ministère ne serait pas très content, il n'aime pas qu'on fasse quoi que ce soit qui va à l'encontre de ses choix et de ses valeurs. Mais ils n'ont pas le choix. La source en l'état est dangereuse. Mulberry impuissant. Et l'idée n'est pas de se rebeller contre le système politique actuel. Juste de reprendre le contrôle sur ce qui nous revient. Forcer à la réforme des Sciences Noires. Qu'elles ne soient plus seulement réservées à une élite. Que l'on puisse enfin innover, au-delà des mêmes cours et des mêmes poncifs qu'on nous sort à toutes les sauces depuis des décennies, voire des siècles!

Je me mords les lèvres, remonte mes lunettes, soupire.

-Qu'est ce qu'il nous faudrait pour mettre ça en route? J'ai étudié le carnet. Lucy aussi. Il nous manque énormément de matériel et de calculs.

Son visage s'illumine. Il a l'air d'un enfant à qui on annonce qu'une fête est prévue pour son anniversaire.

-J'ai déjà bien avancé de mon côté... Mais je suis ravi que tu te joignes à moi.

Je grimace, encore incertaine.

-Bon. Par quoi on commence?

XCII - Aie confiance

Une semaine. C'est le temps que William a évalué pour finaliser le rituel et ses préparatifs. Il faut dire que lui, ça fait trois ans, voire plus qu'il y réfléchit. C'était son objectif dès son entrée à l'académie. Il a bien joué, contrôlant ses envies, ses pensées, ne se faisant que peu d'amis, sans se faire remarquer, ni en bien, ni en mal. Presque comme mon attitude dans la vie en générale, sauf que lui avait un véritable projet. Comme moi maintenant.

Après avoir passé trois heures ensembles à préparer le rituel, je me hâte de rentrer. Je n'ai pas très envie de croiser Naël, mais je n'ai pas d'autres endroits où dormir. Je glisse la main dans ma poche, là où William a glissé un petit sachet de fleurs des champs et de pierres de quartz, un clou accompagnant ce mélange étrange. Un sortilège de dissimulation.

Bien sûr que William y a recours.

Je sens le stress s'installer dans mon ventre. Je ne dissimule rien à Naël en temps normal. Mais cette fois c'est nécessaire.

-Tu as changé depuis ton arrivée à Berbridge...

Je souris, contente de la voir, même si mon ventre se tord. Est-ce qu'elle est déjà au courant de ma décision? Qu'en penses-t-elle?

-On s'adapte à l'environnement dans lequel on évolue, c'est tout. C'était moins simple de prendre mon envol en étant coincé au manoir Lecendre.

-C'est certain.

Je la sens distante. Son regard n'est pas aussi lisible qu'à l'habitude, et elle reste à distance, contrairement à l'habitude qu'elle a de se tenir si prêt que je sens un souffle froid balayer ma peau.

-Tu sais ce que William m'a dit, n'est ce pas ?

-Je m'y attendais. J'ai connu Paul Lecendre après tout, il m'a parlé longuement de ses projets. Je l'ai aidé pour certains donc...

-Et tu ne voudrais pas ? Retrouver un peu d'humanité ? Pouvoir retrouver un semblant de vie ?

Elle hésite, glisse vers moi.

-J'ai trop donné en termes d'espoirs. On m'a fait miroiter des choses qui ont tourné au tragique.

Sa voix se brise. Je comprends que c'est un sujet sensible, et que ce projet lui fait peur. Ça réveille mes propres doutes, et l'envie de la serrer dans mes bras se fait plus forte.

-Mais si c'était possible ? Si on pouvait ... être ensembles toutes les deux ? Au lieu de cette semi existence que tu mènes ?

Elle baisse la tête, se passe la main dans les cheveux.

-Je ne sais pas, Elise. J'aimerais tellement. Tellement que ça soit possible. Mais j'ai vu les échecs des autres, leurs conséquences. Sur eux, et sur moi. Je suis morte à cause d'un rituel de ce genre...

-Cette fois c'est différent.

Je ne sais pas d'où me vient cette certitude, mais je sais, au fond de moi, que j'ai pris la bonne décision.

-J'ai envie de te croire...

-Alors fais-le.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant