29ème fragment : Naël

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L'histoire contemporaine de Berbridge

Au 19ème siècle après l'Unification, l'académie de Berbridge connut un nouveau tournant de son histoire, tournant que les historiens appeleraient plus tard "Nouvelle modernité de Berbridge".

La directrice Appoline de Pancol décéda à l'âge de 85 ans, lors de l'hiver 1879, au cours d'un festin organisé par le ministère de l'époque, à la tête duquel se trouvait le bien nommé Roger Providence. Après des années de bons et loyaux services, il fut rendu à madame de Pancol un hommage national bien mérité.

La période de deuil achevée, Roger Providence eut pour tâche de nommer une nouvelle tête pour Berbridge. Les discussions allèrent bon train jusqu'au jour fatidique de la décision. La nomination soudaine de Christian Herbet réveilla les rumeurs de népotisme, ce dernier étant le beau-frère de Providence.

Beaucoup contestèrent le choix de nommer un humain normé, sans aucun don pour les Sciences Noires, à la tête d'un établissement d'exception.

(...)

Les mauvaises langues elles-mêmes durent se rendre à l'évidence devant le travail fourni par Herbet. D'un naturel timide et réservé, ne délivrant que peu d'informations sur sa vie privée, le directeur mit en place un nouveau système de répartition des tâches, confiant aux élèves une autonomie que leur envièrent les étudiants des autres pays. Juste, droit, et se détachant de la sévérité froide de Madame de Pancol, Herbet était un directeur aimé de tous.

(...)

A l'automne 1896, et sans qu'aucune explication ne soit donné publiquement par Providence, toujours en fonction, Monsieur Christian Herbet quitta la direction de l'Académie de Berbridge.

Les raisons de cette démission soudaine ne furent jamais dévoilées à la presse. A ce jour, l'hypothèse la plus probable reste la santé fragile de cet homme qui ne tarda pas à décéder quelques années plus tard.

(...)

A ce jour, Monsieur Herbet reste le seul directeur normé de l'histoire de Berbridge.


Loïs finit de lire le paragraphe que j'ai poussé vers lui pour avoir son avis. Les sourcils froncés, concentré. Son air studieux me donne envie d'enfouir ma tête contre son cou et de le mordiller pour distraire son attention.

Je me ressaisis de cette pensée intrusive complètement inattendue et me recule dans mon siège en croisant les bras patiemment. Quand il finit, il relève la tête vers moi, un peu perplexe.

-Est-ce que tu as trouvé ce que tu voulais comme information ?

-Oui... Et non. Je cherchais tout élément étrange qui aurait pu arriver à l'Académie de Berbridge au 19ème siècle.

J'ai ciblé le 19ème en me basant sur la description physique qu'Elise m'a faite de la morte. Espérons que ses compétences en mode ne l'aient pas fourvoyées.

-Si j'en crois ce chapitre, il y a eu deux directeurs importants à cette époque. Pancol et Herbet. Chacun ayant sa propre vision de l'enseignement. Pancol était une conservatrice. Herbet était un réformateur, bien qu'une partie de ses contemporains ait jugé sa position hautement favorisée par son statut de beau-frère du ministre de l'époque, je reprends en montrant du doigt le paragraphe incriminé.

-Ca ne te semble pas étrange toi? Ces deux lignes hyper légères sur le départ de Herbet?

Je hoche la tête, en accord avec Loïs.

-Je ne comprends pas ce qui pousserait le gars le plus populaire de son époque à quitter Berbridge. Oui il avait des opposants, mais surtout un allié de poids.

-Ce qui veut dire?

-Qu'un accident s'est forcément produit en 1896. Un évènement assez important pour que les livres d'histoires l'occultent complètement et que le ministre de l'époque choisisse de se taire. Et je compte bien savoir quoi.


XLIII - Un élan

-Est-ce que je peux savoir d'où te vient cette passion soudaine pour l'histoire de l'Académie? Vu la façon dont tu dors en cours magistral, j'avais plutôt l'impression que ce n'était pas ta tasse de thé.

-Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, réponds-je à Loïs en haussant les épaules.

Je ne l'envoie pas complètement balader parce que je lui dois un fier service. Il en est d'ailleurs si content qu'il m'est difficile de montrer mon cynisme et ma froideur habituelle. Et puis c'est pour Elise. Si je ne mets pas de côté mon égo pour elle, je ne le ferai pour personne.

-En fait, je ne peux pas vraiment t'en parler pour l'instant. Ça ne concerne pas que moi, mais... C'est important.

-Ça concerne Elise? Cette histoire de rêve avec Maia ?

Il ne lit pas dans les pensées, mais il est perspicace comme le clairvoyant qu'il est.

-En quelque sorte oui.

Il n'insiste pas, ce que j'apprécie, et continue de marcher silencieusement à mes côtés. Je ne le lui ai pas demandé, mais il me raccompagne au portail. Nous sommes restés tard si tard à la bibliothèque, à débattre des hypothèses sur Herbet et Providence, que nous nous sommes fait mettre dehors par la bibliothécaire la plus agacée qu'il m'ait été donné de rencontrer. Même si, je l'avoue, je n'en ai pas rencontré dix milles.

Le fond de l'air est frais, et je frissonne en songeant au chemin qu'il me reste à parcourir jusqu'à la pension. J'en viendrais presque à regretter de ne pas dormir dans ce tas de pierres.

Loïs s'arrête, ce qui me fait remarquer que nous sommes sous le portail en fer. Un peu gauchement, je lui souris.

-Eh bah... Merci. Je ne sais pas comment j'aurais fait sans toi ce soir.

Cette réplique digne d'une mauvaise romance me fait grimacer.

-N'exagères pas, tu aurais bien fini par trouver un moyen, ce n'est pas comme si j'étais si utile que ça.

Il se déprécie par peur que je le fasse en premier. Cette réalisation réveille mon sentiment de culpabilité à son égard. Je regarde autour de nous, mal à l'aise. Quelques rares élèves quittent l'école, aucun ne faisant attention à nous. Je ressens une certaine sérénité sous ce ciel crépusculaire , les pensées à peine bousculées par celles de Loïs. Pour la première fois depuis longtemps, je sens mes barrières s'effriter.

-J'ai été un vrai con ces derniers temps, non? Finis-je par déclarer un peu gauchement.

-Disons que tu ne m'as pas vraiment laissé ma chance.

-Tu le mérites pourtant.

-C'est ce que je pense aussi.

-Eh bien je devrais peut-être réfléchir à réévaluer nos rapports...

Sans lui laisser le temps de répondre, je m'éloigne, mais pas assez vite pour ignorer le tourbillon de pensées qu'il a pour moi.

La situation ne s'y prête pas, mais je me sens gonflé par un élan d'optimisme.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant