34ème fragment : Elise

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LIV- Bim Bam Boum

Après la promesse de tout leur expliquer une fois notre succès assuré, nous rentrons en classe.

Je n'ai jamais été du genre à désobéir. Ni à ma famille, ni à une autorité hiérarchique. Je suis l'élève silencieuse, mais efficace, le rêve de tous les professeurs et la fierté discrète des parents. Seulement, quand il est question de vie ou de mort, le côté insouciant et indiscipliné de Naël me serait bien utile.

Le cours de potion et d'apothicaire est dispensé par Mme Ortellano, une petite femme replète qui est un vrai moulin à parole. Je ne crois pas que nous ayons passé un seul de ses cours sans une anecdote personnelle sur ses chats, son parcours académique ou les plantes qu'elle chouchoute dans la serre des jardins du château. Une professeure bien trop gentille pour que je n'ai pas de scrupules quant à la décision collégiale que nous avons prise.

Le cours de ce jour porte sur le breuvage d'Hyprotection.

Il y a plusieurs façons de tenir les esprits à distance. Rituel, sortilèges, gris-gris. Et des potions. Ces dernières ne sont pas simples à maîtriser, et malgré nos blouses et matériel de protection un accident est vite arrivé. En théorie, les premières années ne manipulent rien de dangereux. Dans les faits, ce n'est pas Mme Ortellano qui va regarder en détail quels ingrédients nous choisissons d'utiliser.

Et pour être tout à fait honnête, on ne peut pas dire que ce soit bien prudent de sa part de mélanger les matériaux sensibles à ceux de tous les jours.

Bien que je sois incapable de discerner un ingrédient explosif d'un inoffensif, ce n'est pas le cas des jumeaux qui laissent leurs mains choisir, sans même réfléchir. Un don bien utile pour remplir un qcm j'imagine.

Je me balance nerveusement sur ma chaise pendant que Naël, détendu comme toujours, fait la conversation avec Maia. Nous nous sommes mis le plus loin possible des autres empathes, mais la rapidité nous sera plus utile que la distance.

Ortellano nous explique les propriétés du vert-laurrier et sa tendance à irriter les animaux fantômes. Les yeux plongés dans mon chaudron, je l'écoute d'une oreille distraite en mélangeant mes propres ingrédients.

Le bruit qui retentit soudain à travers la pièce est assourdissant, et provoque un bourdonnement dans mes oreilles. Je me les couvre, choquée par le chaos ambiant. Une épaisse fumée a envahi la pièce, causant une toux persistante chez la moitié des élèves. Les cris de Mme Ortellano nous exhortent à quitter la salle à toute vitesse. Dans la confusion de la fuite, je sens la main de Lucy se glisser dans la mienne et me guider à travers le brouillard épais et poisseux qui nous poursuit dans le couloir. J'aperçois vaguement Naël tituber en direction de notre professeure avant de sortir au grand air.

Mes poumons semblent se redéployer dans ma cage thoracique. Déjà, un attroupement se forme à l'entrée du bâtiment. Personne ne fait attention à nous et nous parvenons à la tour Ouest sans aucun problème. Lucy prend ma main pour m'éloigner du chemin, juste à temps; Ernan Mulberry, sûrement alerté par le nuage de fumée et l'explosion, court vers les lieux du sinistre. Il a l'air d'un savant qu'on vient de réveiller d'une sieste particulièrement agréable.

Nous attendons qu'il s'éloigne et pénétrons dans la tour. Je soupire en pensant aux étages. Heureusement pour mon égo, Lucy n'est pas beaucoup plus rapide que moi. Bien que le stress me paralyse le cerveau, la présence de la clairvoyante me rassure. Même si elle ne s'en vante pas, je sais qu'elle fait partie des meilleurs de sa classe, et qu'elle travaille avec assiduité toutes les disciplines, là où les autres clairvoyants se contentent de leur chance basique et insolente.

Elle s'arrête à mi hauteur, le souffle court, et me fusille du regard.

-Si j'avais eu connaissance de ce que ça représente vraiment tous ces étages, j'aurais échangé ma place avec Loïs.

-Tu sais bien qu'il fait en sorte qu'on ne se fasse pas prendre.

-Ouais ouais, il paraît. En attendant, cette clé a intérêt à valoir le coup, parce que je ne monterais pas ces marches à nouveau pour la remettre à sa place. Au pire, Ernan pensera qu'il l'a perdu.

-Ca m'étonnerait...

Si on ne se fait pas chopper d'ici là, j'ai du mal à penser qu'on puisse tenter notre chance une deuxième fois. C'est un peu une mission suicide.

Lucy grogne plus qu'elle ne soupire et reprend son ascension.

Comme prévu, dans la précipitation, Ernan n'a pas fermé la porte de son bureau. Nous y pénétrons rapidement. L'ambiance y est encore plus étrange sans le directeur derrière son bureau. La pièce est hantée de tellement d'esprits mineurs et d'animaux, sûrement ceux des bocaux, que mes mains se glacent.

Lucy ne perds pas de temps. Il lui faut moins de 5 minutes pour repérer un tiroir, en dévisser le double fond et récupérer une petite clé en étain. Ses dons de clairvoyance sont impressionnants. Et pas seulement. Avant de partir, elle prend soin d'allumer un bâton de palo santo pour camoufler notre passage. Ça ne suffira peut-être pas, mais ça retardera Ernan pour comprendre que quelqu'un est passé par son bureau.

Je me surprends à penser que, peut-être, ce plan n'est pas complètement voué à l'échec.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant