15ème fragment : Elise

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XXI – Histoire de la lecture de l'avenir

-Ton cousin est plutôt mignon.

-Pardon?!

J'interromps ma lecture et jette un regard à Naël qui se dirige vers nous. Maia le regarde avec un désir non dissimulé et je comprends pourquoi il l'évite comme la peste.

-Vous avez de bons gênes dans la famille. Enfin bien sûr il faudrait que tu prennes un peu plus soin de toi et que tu...

-Oh pitié Maia, arrête de faire la peste, intervient Lucy.

-Je ne fais pas la peste, j'optimise juste mon temps en repérant le futur homme de ma vie. Certaines d'entre nous n'ont pas l'intention de devenir des vieilles filles.

-Et certaines d'entre nous n'ont vraiment pas l'intention de finir leur vie avec un homme, marmonne Lucy en me faisant un clin d'œil.

Je tousse pour dissimuler ma gêne.

-De quoi vous parliez ? Nous interrompt Naël en prenant place sur la chaise à côté de moi.

-Du potentiel érotique des premières années. Maia a des avis très tranchés sur la question, répond Lucy avec un grand sourire.

Maia rougit violemment et lui tape le bras.

-Lucy, arrête !

J'ignore leurs chamailleries et reporte mon attention sur mon cousin. Il s'est couché tard ces derniers soirs, fatigué par le sevrage de ses médicaments. Bercé par le ronron de la radio, j'ai fini par m'endormir avant lui. Il intercepte mon regard inquiet et se penche pour me murmurer à l'oreille :

-Oui Elise, je sais que les cernes me donnent un petit côté ténébreux qui plaît aux filles. Et non, évidemment, je n'ai pas échappé aux regards insistants de Maia. Et non, elle n'a toujours pas compris que j'aime les garçons. Fascinant non ?

Je soupire, pas plus rassurée qu'avant.

-Ca doit être compliqué de te prendre tout ça dans la figure. J'espère que tu vas finir par t'y habituer. Il paraît que ça peut se passer très rapidement!

-Que cette période arrive vite je vous en conjure se plaint-il avec une voix dramatique.

L'arrivée du directeur nous sort de notre conversation et nous nous levons de nos chaises pour le saluer.

Les cours de Science de la Divination sont donnés par Ernan Mulberry. La divination est une discipline très particulière, pour la simple et bonne raison que c'est une discipline transversale, comme la protection. Elle peut se pratiquer de différentes manières à travers nos différents dons. Même si c'est plus simple pour certains, notamment les rêveurs, il n'est pas impossible pour un clairvoyant comme Lucy ou Loïs d'affuter leur intuition pour sentir l'avenir. La science de la divination est fascinante. Et très importante, d'où son enseignement par l'éminent Ernan.

-Asseyez-vous.

Nous obéissons rapidement. Cette matière est aussi importante que la perspective de plaire au directeur. Pour ma part, j'aimerais surtout qu'il ne me remarque pas. L'absence de figure paternelle dans ma vie me rend toujours fébrile face aux monuments d'autorité.

Sa moustache est rigolote quand même.

Grand-mère aurait détesté. Elle aurait dit que ça ne fait pas bon genre...

Hey Elise, tu crois qu'on peut t'aider à lire l'avenir nous ?

Je retiens un soupir agacé. Depuis que j'ai accepté la présence des trois esprits à mes côtés, on ne peut pas dire que j'ai pu me sentir seule. Ils sont excités par la découverte d'un nouvel environnement, et j'ai bien du mal à leur dire de se tenir tranquille. Au vu des regards de mes camarades communicants, ils ne passent pas inaperçus.

Il n'est pas rare pour les gens comme nous d'être accompagnés d'esprit, mais c'est plutôt rare d'en avoir trois en continu qui babillent joyeusement. Au moins ai-je reçu les félicitations de ma professeure de Communication.

-Vous pensez que Mulberry est célibataire ? C'est un bon parti non ?

-Maia, si tu ne te tais pas, je te jure que je change de place, rétorque Lucy en me jetant un regard de détresse.

Lucy est d'une gentillesse incroyable, même si elle se chamaille souvent avec Maia. Assez naturellement, notre trio s'est constitué, même si je me demande encore ce que Maia nous trouve.

-Vous ne pensez pas assez stratégie et avenir. Si vous voulez travailler toute votre vie dans un bureau froid du ministère de Forzerand, c'est votre problème. Moi je me vois plutôt bronzer au soleil.

C'est un plan d'avenir qui se réfléchit.


XXII – Le son de la pluie sur les pavés

Nous sommes vendredi. Il pleut des cordes à 17 heures lorsque nous quittons notre troisième, et dernier, cour magistral de la semaine, la tête pleine d'informations dont je suis sûre que la moitié finira aux oubliettes d'ici la fin de la soirée. Loïs nous rejoint et pendant qu'ils débriefent avec sa soeur et Maia, Naël restant à bonne distance, j'observe la cour extérieur se couvrir d'eau et de boue, la mousse se gorger d'eau et les pavés luire d'un éclat presque surnaturel. La perspective de courir nous abriter jusqu'à la pension pourrait être envisageable si mes bottines n'étaient pas déjà abîmées et si ma jupe ne s'arrêtait pas aux genoux. Un coup de froid arrive si vite pour les gens comme nous et je ne compte pas passer la deuxième semaine de l'année clouée au lit.

Lucy qui a suivi mon regard sourit avant de prendre la parole.

-Tu sais, si vous attendez 20 heures 15, vous pourrez profiter de l'accalmie pour rentrer un peu plus au sec.

-Vous aurez un battement d'une vingtaine de minute, enchérit Loïs.

-Oh wow, impressionnant, s'exclame Maia. Un seul cours de Divination et vous êtes déjà capable de prédire la météo. Vous avez pensé à travailler à la télévision? Le bulletin météo des jumeaux Coste, ça pourrait avoir du succès.

-En fait, ma douce Maia, susurre Naël que je vois s'agacer, si tu prêtais un peu plus attention aux autres, tu saurais que la météo fait partie des choses que les clairvoyants sont capable de sentir avec une fiabilité proche des 100%. Autant de choses utiles dont les rêveurs ne sont pas capables.

Maia lève les yeux au ciel.

-Qu'importe. Dans tous les cas je vous laisse, c'est la pleine lune ce soir, et j'ai des rituels à accomplir si je veux que mon sommeil me donne l'éclat et la fraîcheur qui me caractérise. Bonne soirée les nullos.

Nous la regardons s'en aller fièrement, ses cheveux volant en arrière comme une star de cinéma.

-Sérieusement, pourquoi est-ce qu'on traîne avec elle, déjà ? Demande Naël

-A vrai dire, je pense plutôt que c'est elle qui traîne avec nous. Tu n'es pas très charitable, lui rétorque Loïs en souriant.

Je vois Naël retenir une réplique bien sentie. Pour une raison que je ne m'explique pas, depuis quelques jours il paraît mal à l'aise en présence de Loïs. Je le taquinerais bien à ce sujet si je n'avais pas peur que ça se retourne contre moi. Les jumeaux nous laissent à leur tour, et je me tourne vers mon cousin qui ne quitte pas le dos de Loïs du regard.

-Bon, puisque nous avons jusqu'à 20 heures, autant aller à la bibliothèque, je suggère.

Je vois le sourire de Naël s'estomper. Il n'a jamais aimé les bibliothèques.


Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant