16ème fragment : Naël

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XXIII- Bibliophilie

Même si je n'apprécie pas particulièrement passer mon temps libre le nez dans des recueils de pages poussiéreuses, je dois avouer que la bibliothèque de l'Académie de Berbrdige a une certaine prestance. On la croirait tout droit sortie d'un livre de conte, avec ses étagères immenses, ses meubles en bois massifs et ses rayonnages colorés. Les mauvaises langues dont je fais partie parleraient peut-être de m'as-tu-vu, mais j'imagine que les intellectuels comme Elise y trouvent leur compte.

Ma cousine a choisi une table de deux près d'une immense fenêtre qui donne sur la cour intérieure. D'ici on peut y voir les quatre tours principales, dont celle du Sud, là où les élèves dorment, qui commencent à s'éclairer. Le temps de rejoindre la bibliothèque, la nuit est déjà tombée. Je me rencogne dans mon siège en grommelant. Je suis un garçon dont les ancêtres viennent du Sud, je n'aime ni la pluie, ni le froid, ni l'obscurité en fin d'après-midi. Autant dire que je suis ravi de vivre dans ce pays et que je n'en veux pas du tout à ce lointain arrière grand-père qui a cru bon de s'enticher d'une Lecendre.

Pour me distraire de mon livre de cours qui m'attend patiemment sur la table, je jette un regard aux alentours. Quelques élèves studieux, deux groupes de troisième années... Et surtout le silence. Le sevrage me rendant plus sensible, c'est appréciable de bénéficier d'un peu de repos. Surtout depuis que l'esprit d'Elise est affublé de trois esprits particulièrement bavards que j'entends parasiter ses pensées. Quelle idée. Même morts, les enfants sont plutôt casse-pieds.

Mais le repos a ses limites. Il ne me faut pas plus de dix minutes supplémentaires pour m'ennuyer ferme. J'ai besoin d'un peu de stimulation.

-Naël, tu es tellement nerveux que tu me stresses. Arrête de jouer avec ta plume et de remuer ta jambe comme ça.

Je me retiens avant de me pencher vers Elise qui interrompt sa lecture en remontant ses lunettes sur son nez. Sur un ton de conspirateur, je lui chuchote :

-Tu n'as pas envie d'aller voir à quoi ressemble la salle commune du pensionnat? Je ne vais pas te mentir, si je reste ici jusqu'à 20 heures, je vais finir par me momifier...

-Naël...

-S'il te plaît cousine adorée, je ferais tout ce que tu veux! En plus, comme la fête des premières années y a lieu demain, c'est l'occasion de faire du repérage! Ne me dis pas que ça ne te tente pas, je ne te croirais pas. Tu n'as pas envie de voir à quoi nous avons échappé en dormant dans le bourg?

Elle sait que j'ai raison et ne proteste pas. Ce n'est pas qu'Elise a peur des gens ou qu'elle est socialement inadaptée. Pas seulement. Disons que sortir de sa zone de confort lui coûte un certain effort, effort qui peut s'amoindrir avec une bonne préparation.

-Alors ?

-Très bien. Mais en rentrant tu me fous la paix et tu me laisses travailler.

-Allons, comme si c'était mon genre d'embêter les gens...

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant