Le fantôme de Berbridge

28ème fragment :Naël

XLI - Flots

Quand je vois Elise franchir le seuil de la bibliothèque en furie, je comprends qu'il s'est passé quelque chose. Je me relève prestement de la chaise où je m'étais affalée et la rejoint. Elle est hagarde, et ses yeux regardent autour d'elle comme si elle avait vu un fant... Oh.

-Pas ici, m'interrompt-elle avant que j'ai eu le temps de poser ma question. On rentre. Je t'en parlerais sur le chemin du retour.

Pour qu'Elise annule une séance de travail à la bibliothèque, c'est qu'il se passe quelque chose de sérieux. Je la suis en silence pendant que nous quittons le château. Je sens ses pensées tourbillonner autour d'elle et je grimace, assailli par une multitude d'émotions qui ne sont pas les miennes. Même si je suis habitué au nouveau dosage de mon médicament, les pensées aussi intenses que celles qui l'agitent se fracassent avec violence contre le mur de mon propre cerveau. Je les sens pulser à un rythme infernal. On nous a dit en cours que la proximité relationnelle augmentait les sensations physiques. Autant vous dire que c'est affreusement douloureux.

-S'il te plait, calme toi.

-Oh, pardon Naël, je n'y pensais plus!

Elle essaie de se calmer, s'arrête au milieu du chemin pour respirer calmement. Ces exercices de respiration calment le flot tumultueux de ses pensées, et je reprends contenance à mesure que la douleur reflue.

-Est- ce que tu peux m'expliquer maintenant?

Pendant que nous descendons la route pavée qui mène au bourg, elle me raconte tout. Son entrevue avec Hyacinthe, leur échange sans queue ni tête et l'espace temps étrange où elles ont conversé.

-Je sais que ce n'est pas mon genre de dire ça, mais peut-être que tu devrais en parler au directeur.

Elle secoue la tête.

-Non je ne pense pas. Je préfère me tenir loin de lui pour le moment.

-Donc si je comprends bien, tu préfères croire un fantôme mystérieux et menaçant plutôt qu'un adulte diablement sexy et responsable ?

Elle grimace, mal à l'aise.

-Elle n'est pas menaçante. Et oui, je... Je lui fais confiance.

Nous voilà bien partis...

XLII - Bibliophilie bis

Si Elise considère que son fantôme est une source fiable, soit. Mais qu'elle ne compte pas sur moi pour faire comme si c'était normal.

Je ne suis pas un communicant, mais je suis un Lecendre.

Des histoires de fantômes, j'en ai entendues toute ma vie. Des contes, des légendes, des histoires.

Des faits divers.

Puis les livres de Proserpine, ses interviews, ses livres, ses passages à la télévision. Notre monde est étrange de base, déstabilisé par les Sciences Noires. Pour autant, je sais reconnaître une situation hors du commun quand j'en vois une. Et celle qu'elle m'a décrite hier en est une.

C'est pour ça que ce soir, au lieu de poser mon corps de rêves sur les gradins du terrain de sport pour observer les joueurs de l'équipe universitaire d'athlétisme entraîner leurs non moins parfaits corps musclés, je dois à nouveau m'enterrer dans les murs froids et sombres de l'académie.

Coincé entre deux rayons d'histoire des Sciences Noires, je maudis la personne qui a trouvé judicieux de rassembler autant de bouquins au même endroit. A ce rythme je vais y passer des plombes. Surtout qu'Elise a dû passer par là. J'espère que ça ne sera pas une perte de temps.

Je le sens avant même de le voir, et un bras passe devant mes yeux pour saisir un ouvrage.

-C'est ça que tu cherchais?

Loïs me tend "L'histoire contemporaine de l'Académie de Berbridge". Je grimace et la lui prend des mains.

-Evidemment, c'est toujours plus simple d'avoir un clairvoyant sous la main pour trouver une aiguille dans une botte de foin.

-De rien, Naël, ça me fait plaisir de t'aider, réplique-t-il avec un sourire nerveux.

Même s'il fait une bonne tête de plus que moi et que son sourire est bien trop mignon pour mon propre bien, je ne me démonte pas.

-Merci Loïs. Mais j'aurais fini par trouver tu sais. On ne dirait pas comme ça, mais je sais lire. Et même très bien!

Il secoue la tête en riant et s'écarte pour me laisser passer. Je rejoins la petite table près des fenêtres, là où Elise s'installe toujours, et laisse tomber l'ouvrage dans un bruit sourd qui me vaut un regard malveillant de la part de la bibliothécaire.

-Quel garçon délicat tu es.

J'ignore sa réflexion et Loïs s'installe face à moi. Je me garde de lui faire remarquer que je ne l'ai pas invité. Il faut que je dose mon cynisme avec lui, je n'ai pas envie de créer une ambiance trop étrange dans le groupe.

-Tu veux de l'aide? Me demande-t-il au bout de quelques minutes, sans me quitter des yeux.

Je parcours encore le sommaire en grimaçant. On a pas idée d'avoir tant de choses à dire sur un vieux tas de pierres. Cependant, la perspective de devoir quelque chose à Loïs me freine un peu.

-Naël, je ne sais pas ce que tu cherches, mais à ce rythme tu vas y passer toute la nuit.

-Très bien.

Je pousse le livre vers lui.

-Je cherche des informations sur l'histoire de Berbridge au siècle dernier. La façon dont les élèves évoluaient hors des cours, les évènements particuliers... ce genre de choses. J'ai conscience que c'est un peu vague, ça ne va peut-être pas...

Il me fait taire et retourne l'ouvrage vers lui. Sans même jeter un œil au sommaire, il prend une page au hasard, vers les trois quarts du livre. Je dois avouer que je suis un peu fasciné. Les clairvoyants, outre leur acuité sensorielle développée, sont capables de repérer sans difficulté la chose cherchée. On pourrait qualifier ça d'un mélange d'intuition, d'une surcapacité de l'âme et d'une bonne dose de chance. Ce ne sont pas des héros, mais la plupart d'entre eux finit avec une petite fortune et de bons placements en bourse. En plus, ils ne perdent jamais leurs clefs.

Elise a peut-être épluché tout le rayon de la bibliothèque, mais elle n'avait pas un détecteur à information avec elle.

-Je ne sais pas si l'information précise que tu cherches se trouve sur cette page, mais tu devrais y voir des éléments intéressants.

-Merci Loïs. Tu m'évite une migraine carabinée.

-Vu le style d'écriture du livre, je n'en suis pas si sûr...