49ème fragment : Elise, William, Hyacinthe

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LXXIX- En tête-à-tête

J'ai fait passer le message à William par un élève de troisième année que je voulais le voir aujourd'hui. Il m'a fallu un peu de temps pour réfléchir à ce que je vais lui dire et savoir comment réagir.

Hyacinthe n'est pas réapparu, ce qui me plonge dans une tristesse et une mélancolie qui ne me ressemble pas.

Je me sens lourde, apathique.

Tout juste si le danger de la source avait encore du sens dans mon esprit. Tout ce à quoi j'arrive à penser c'est elle. Son regard qui est un abîme dans lequel se plonger. La grâce de ses mouvements qui n'ont rien d'humain. Ses expressions qui le sont encore trop.

Je remonte mes lunettes sur mon nez et je pénètre dans la bibliothèque. Il est midi, et la plupart des étudiants sont occupés à manger ou se dégourdir les jambes. Ils profitent du quart d'heure de soleil de la journée. Soleil qui se fait de plus en plus rare à Berbridge. Le vieux Bishop a attiré mon attention sur ce point. Pour qui habite Forzerand, les déclinaisons météorologiques sont plutôt simples à comprendre. De la pluie, du froid et du brouillard en majeure partie que viennent traverser quelques éclaircies très appréciables. Il fait souvent humide, et personne ne sort sans se couvrir d'un imperméable ou d'une cape, suivant la mode de la saison.

Mais ce qui se met en place depuis quelques jours est différent.

Au-delà de la quasi disparition de l'astre solaire, l'atmosphère est poisseuse, étrange, sombre. A cette date, l'hiver devrait commencer à montrer les premiers signes, et pourtant nous sommes comme coincés dans une version maléfique d'automne. J'ignore jusqu'où ce micro-climat s'étend. Quand j'ai appelé le manoir Lecendre hier, Grand-père n'a pas mentionné quelque chose de particulier quant à Clerserrat.

Je m'avance jusqu'à une des salles de travail du fond de la bibliothèque. Ces espaces aménagés pour les étudiants qui privilégient la tranquillité totale, comme une bonne partie des empathes, sont de petites stalles fermées et insonorisées. Conçues pour une à trois personnes, le haut des murs est en verre. Je n'ai donc aucun mal à repérer William qui est déjà installé. Les jambes croisées, il lit un roman dont j'ai du mal à déchiffrer le titre à cette distance.

Je prends une bonne inspiration et entre dans la pièce. Il relève la tête de son livre et me regarde m'asseoir en silence. Il a l'air à l'aise, contrairement à moi qui sent mes mains devenir moites. Les têtes à têtes sont des exercices difficiles pour moi. Contrairement à Naël, je n'ai pas la faculté de lire les gens, et mes petites voix intérieures ont toujours tendance à me faire voir le verre à moitié vide.

Tu n'as qu'à imaginer les gens tout nus, il paraît que ça aide à se détendre...

Beurk...

Bon, en sous-vêtements alors.

N'ayant l'intention d'imaginer William ni en sous-vêtement, ni tout nu, je me contente d'invoquer toutes mes capacités de discussion et-je l'espère- de persuasion.

-Alors finalement, tu acceptes de me voir seul à seul? Je ne suis plus aussi effrayant que ce que te dit ton cousin?

Son ton est désagréable, et m'écorche l'oreille. Il ne fait même pas l'effort de camoufler sa suffisance.

- Si c'est pour être aussi désagréable, je peux toujours retourner à mes affaires, je lui réplique avec une froideur qui ne me ressemble pas.

Il lève les mains en signe d'apaisement.

-Désolé. Je suis juste surpris que tu veuilles bien m'accorder ton attention. On ne peut pas dire que nous soyons spécialement proches.

-On me dit souvent que je ne suis pas facile d'accès.

-Disons que tu aimes te préserver des autres. Ça peut se comprendre, les gens sont souvent désagréables. En particulier dans cette académie.

-Qu'est ce que tu reproches à tes contemporains?

-Je ne leur reproche rien de plus que leur bêtise, leur ignorance et le fait qu'ils ne cherchent pas à s'affranchir des limites bêtes et arbitraires qu'on leur impose.

Quel poseur.

Je hausse un sourcil, perplexe.

-Tant d'assurance pour un simple Voyageur.

Il rit, avant de se pencher vers moi. Par mimétisme, je me rapproche de lui. Ses yeux pétillent de malice. Naël me tuerait de penser ça, mais il ressemble à une version mutine de mon cousin.

-Puis-je te parler franchement Elise?

-Je n'attends que ça.

-Il y a deux options qui s'offrent à nous actuellement. La source est éveillée, elle ne va pas se rendormir de sitôt. Et l'accident de Mlle Loisel pourrait se reproduire.

Son regard s'assombrit.

-Qu'est ce qui s'est passé ce jour-là?

Il recule, lève les yeux au ciel, reste fixé sur un point que je ne vois pas.

-J'ai fait une erreur de calcul. Vois-tu, je ne suis pas comme toi. Je n'ai pas besoin de clés pour accéder aux lieux où je veux me rendre. Cela fait trois ans que je rends visite à la source. Régulièrement, je l'étudie, j'affine mes prévisions, je réfléchis à des rituels, je regarde le carnet de ton grand-père. Elle ne peut pas m'atteindre quand je voyage, puisque je n'ai pas de forme tangible. Ce jour-là, celui où Loisel est morte... Je voyageais. Mais à aucun moment je n'ai quitté la salle commune où nous étions tous réunis.

Il a raison. Les voyageurs sont capables de se projeter hors de leur corps. Ce qui leur sert d'âme, d'esprit, peut s'affranchir de l'enveloppe de chair qui nous retient, nous autres, prisonniers. Pour être tout à fait honnête, c'est un don que beaucoup leurs envient.

-C'est ta visite qui a provoqué ça? Sa colère?

-Elle est agitée. Elle sent que la libération pourrait être proche. Elle veut du sang, des larmes et des os.

Je secoue la tête, tant cette description me paraît éloignée de la faille lumineuse que j'ai aperçu avec Naël, Loïs et Hyacinthe.

-Elle était calme quand je l'ai vue.

-Sur le moment, oui. Parce que Hyacinthe vous accompagnait.

Je secoue la tête, perdue.

-Quel est le rapport?

-Je ne peux pas t'en dire plus. C'est à elle de le faire. Mais tout ce que tu dois savoir, c'est que Hyacinthe est liée à la source. Et au sort de la source.

Il me regarde en silence, me laissant le temps d'analyser ses derniers mots.

-Qu'est ce que tu entends par là? Osé-je enfin lui souffler.

Il me jette un regard plein de sollicitude qui me fait froid dans le dos.

-Elise. Je ne veux pas que tu penses que je dis ça pour te convaincre de quoi que ce soit. Je ne veux pas que tu te joignes à moi par manipulation ou autre. Je ne suis qu'un étudiant, comme toi, qui a des aspirations peut-être éloignées de la moyenne, mais qui n'a pas pour vocation de faire du mal pour faire le mal.

Je m'impatiente. Sa profession de foi est la dernière chose qui m'intéresse actuellement.

-Imaginons que je te crois. Imaginons. Viens-en aux faits. Hyacinthe.

-Hyacinthe est liée au réveil de la source. Elle est ce qui tient la source connectée à notre monde. Tant que la source est en éveil, Hyacinthe reste parmi nous, elle veille sur elle. En revanche, si la source s'endort, si on la neutralise...

-Hyacinthe disparaît, je complète dans un souffle.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant