52ème fragment : Elise, Hyacinthe

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LXXXIV - La goutte de trop

Je ne me sens pas oppressée. Naël a toujours fait ce qu'il fallait pour moi, sans craindre de se heurter à mes propres sentiments. Il est là pour moi, il me supporte, m'aide et m'aime. Pour autant, même s'il sait lire mes pensées, il ne comprend pas. Je le sais. J'ai lu son jugement à l'instant quand j'ai pensé à Hyacinthe, l'espace d'une seconde. J'ai senti sa méfiance à mon égard, l'indignation quant aux projets de William pour la source.

Et dans cette journée bien trop compliquée, bien trop dure, c'était la goutte de trop.

Ma décision n'est pas prise, loin de là.

Mais une chose est sûre.

Je ne veux pas que Hyacinthe disparaisse. Mon égoïsme et mon désespoir parlent sans doute pour moi. Mais je connais la mort, je la côtoie au quotidien. Et Hyacinthe mérite de vivre, rien qu'un peu, avec moi.

Je le crois. J'espère.

Que ferais Proserpine à ma place?

LXXXV - Jalousie

Trois jours se sont écoulés depuis mon entrevue avec William et mon semblant de dispute avec Naël. Si lui comme moi faisons comme si de rien n'était, une gêne, un sentiment un peu trouble nous anime tous les deux, et les mots que nous échangeons sont teintés de faux semblants. Ça ne nous était jamais arrivé auparavant, et ça nous blesse tous les deux.

Nous partageons beaucoup de choses, nos avis, nos valeurs, nos humeurs. Le désaccord que nous avons actuellement est si fort et inhabituel que je n'arrive pas à me réjouir de le voir si proche de Loïs, amoureux comme un collégien.

J'ai préféré couper court à toute tentative de Lucy ou de Maia d'en savoir plus pour le moment. En fait, j'ai passé les trois derniers jours à fuir tous les moments de convivialité habituels.

Déjà que tu n'es pas très sociable

Sois un peu sympa, ils se sont disputés

Naël est une tête de pioche.

Je sors une pomme de mon sac, étend mes jambes contre le siège du gradin de devant et ouvre le carnet de sortilège du vieux Lecendre. Je l'ai récupéré près de Lucy, même si je n'ai pas son habilité et ses dons de déchiffrage. Pour autant, je ne suis pas complètement démunie. Au manoir Lecendre, on a des professeurs particuliers dès le plus jeune âge. Et ce n'est pas parce que je dormais que je ne retenais pas tout. Moi au moins j'étais à l'heure aux rendez-vous contrairement à mon cousin.

-Tu ne devrais pas te disputer avec lui.

Je finis de croquer dans ma pomme. Trop acide. Je grimace et essuie le jus qui me coule des lèvres.

-On ne s'est pas disputés. C'était un simple désaccord. Je suis fatiguée d'être la petite fille sage et effacée.

-C'est souvent ce qu'on ressent. Mais je ne suis pas sûre que les personnes comme Miss Ethan soient particulièrement bien dans leurs peaux elles non plus.

Je ris.

-Tu parles. Sa rupture avec William n'a été que l'occasion pour elle de mettre en scène son nouveau personnage de veuve éplorée.

-Elle a une personnalité pour le moins...dramatique.

-Une vraie comédienne.

Son regard se porte sur le stade. J'en profite pour l'observer à la dérobée. Je ne fais même plus attention aux particularités qui soulignent son inhumanité. J'ai l'impression d'être avec une amie, à observer les joueurs de Rug s'entraîner dans le stade.

-S'il y a bien une chose que je regrette d'avant, c'est de pouvoir toucher les choses, murmure-t-elle. J'ai toujours détesté le sport, mais je donnerais tout pour jouer avec ces pauvres garçons essoufflés.

-Je crois que la mort fait perdre la raison dans ce cas...

Elle éclate de rire.

-Tu as de la chance Elise... Ne la gâche pas, finit-elle par déclarer en me regardant dans les yeux. Réfléchis bien.

-Je sais ce que je fais. Le Rug était déjà un sport inter académique en 1896?

Elle lève les yeux au ciel devant la subtilité de mon changement de sujet, mais me répond de bon cœur, prolongeant cette conversation alors que le soleil décline déjà au loin. Mon cœur bat si fort qu'il pourrait sortir de ma poitrine. J'ai envie de la toucher, de l'entendre respirer. La vision de Loïs et Naël me revient en tête et une pointe se fiche dans ma poitrine.


Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant