38ème fragment : Elise et Elle

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LVIII- La source des maux

Il est 20 heures quand nous arrivons à l'infirmerie. Après un passage express pour certains, un peu plus long pour d'autres, tous les premières années du cours du Mme Ortellano ont quitté les lieux. Ne reste plus que Naël qui, sans qu'on ne l'explique très bien, se sent un peu plus fébrile. Mlle Loisel, la jeune infirmière, qui loge dans les appartements au-dessus l'a autorisé à y passer la nuit par mesure de précaution. En vérité, elle est surtout pressée de retrouver ses pantoufles, son chat et sa télécommande. Comme je l'envie. Elle nous enjoint à ne pas quitter le bâtiment trop tard, mais nous laisse très vite livrés à nous même. Loïs m'accompagne. Sa sœur et Maia ont préféré nous attendre dehors, même si je soupçonne Maia d'avoir plutôt bifurqué vers son Voyageur préféré.

Quand nous entrons enfin dans la petite pièce remplie de lit vide, Naël se redresse pour nous accueillir, visiblement soulagé. L'ambiance est très différente du soir où je suis venu avec Hyacinthe. L'endroit a l'air normal, et surtout bien moins sinistre.

Pourtant, il y a bien dû y avoir au moins un ou deux morts dans ce château.

On meurt si facilement.

Oui, regarde nous. Ou toi, peut-être bientôt.

Ignorant la morbidité des propos des trois esprits qui tournoient autour de moi, je m'approche de Naël.

-Alors? Nous presse ce dernier. On y va? Histoire que je n'ai pas passé la journée à me morfondre comme un rat mort pour rien?

-Tu es bien impatient pour quelqu'un qui me conseillait de rester à distance de cette tour, je marmonne en touchant la clé dans ma poche.

-Oh ça va, j'étais inquiet, c'est bien normal. Mais là j'ai besoin de me dégourdir les jambes. Ce n'est pas vous qui vous êtes empoisonnés les poumons!

-Puis-je te faire remarquer que tu fumes?

-Allons, si je développe un cancer, un brillant Clairvoyant pourra me prévenir à temps.

En théorie. Celui de Proserpine était si malicieux que personne ne l'avait repéré avant qu'il ne soit trop tard. J'ignore le débat des deux garçons et me dirige droit vers la porte dans le petit local à linge.

-L'infirmière ne risque pas de revenir?

-Si elle voit l'infirmerie vide, elle pensera que nous sommes sortis, déclare Loïs en haussant les épaules.

Il n'a pas l'air inquiet le moins du monde, ce qui m'apaise légèrement. Mes mains ne peuvent toutefois pas s'arrêter de trembler quand j'insère la clé dans le verrou. Je ne sais pas à quoi je m'attends en poussant la lourde porte de bois, mais le seul grincement sinistre qui en découle est presque décevant. Un escalier descend tout droit dans les profondeurs de la tour. Après avoir refermé derrière nous par mesure de précaution, je jette un regard aux trois esprits qui se concentrent et se mettent à briller pour nous éclairer. Naël a l'habitude de vivre avec des communicants, il n'est donc pas surpris. Mais Loïs a le regard de celui qui n'aime pas ce qu'il est en train de voir. Même s'ils sont nombreux, les fantômes ne sont pas tous visibles, ou ne veulent pas toujours se rendre visible aux yeux des humains.

Je ne sais pas combien de marches nous descendons avant de déboucher dans un couloir. Tout paraît long et tordu, comme un labyrinthe avec une seule issue.

-Je ne suis pas revenue ici depuis longtemps...

Naël sursaute, Loïs laisse échapper un juron.

Devant nous, au bout du couloir, devant une porte en bois qui rappelle celle de l'infirmerie, Hyacinthe nous attend. Elle luit d'une douce lumière, comme si le soleil l'éclairait. Pourtant, dans ce lieu sinistre, il n'y a pas de fenêtre.

-Bon ou mauvais souvenir? Demandé-je dans un souffle.

-Pas très bon je dois l'avouer, murmure-t-elle dans un souffle.

Elle s'écarte pour nous laisser passer, adressant même un petit geste aux deux garçons. Naël la dévisage sans gêne, ce qui m'agace sans que je ne comprenne très bien pourquoi. Loïs, lui, est subtilement passé derrière mon cousin, ce qui est plutôt comique vu leur différence de carrure.. Tout juste s'il ne récite pas une prière de protection.

J'insère à nouveau la clé et la porte s'ouvre sans difficulté. Le cœur battant, j'entre dans une pièce circulaire, complètement vide, et toujours sans fenêtre.

Mais il y a de la lumière.

Au Centre, une déchirure au sol laisse apercevoir un rai de lumière pure. Je dois plisser les yeux pour ne pas la laisser m'éblouir complètement. Des fissures lézardent jusque sur les murs dans un ensemble de largeur multiples.

La lumière centrale n'est pas immobile. Elle palpite, comme si un cœur, un être vivant l'animait. C'est magique et organique à la fois.

-La vache, murmure Naël.

Je le vois du coin de l'œil prendre la main de Loïs. Ils tremblent tous les deux, ce qui me fait prendre conscience que l'air est glacial. Tout à mon excitation, j'avais ignoré les signaux de mon corps.

-Hyacinthe? Qu'est ce que c'est que ça?

Elle regarde la déchirure avec tristesse.

-Le cœur de Berbridge. Sa source. L'épicentre de Forzerand.

-Qu'est ce que ça veut dire? Parvient à demander Loïs dont les dents claquent.

-Berbridge n'a pas été construite au hasard sur le continent. La source a été découverte au 13ème siècle, pendant la guerre de 20 ans. Si les premiers explorateurs n'ont pas compris à quoi ils avaient affaire, ils n'ont pas tardé à en voir les effets.

-Le 13ème siècle c'est...

-Le siècle d'or des Sciences Noires. Leurs découvertes. Les premières expériences. Les premiers grands noms. A une époque où la Magie qui avait animé le continent s'était éteinte depuis l'Unification et où l'on pensait ces savoirs perdus à tout jamais, l'arrivée des Sciences Noires, ses héritières, a bouleversé l'ordre du pays.

-Et du continent tout entier, murmure Loïs.

Je hoche la tête. Je connais l'histoire de Forzerand et celle des Sciences Noires. Difficile d'imaginer qu'il y eut une époque où personne n'avait de capacités, un entre-deux de l'Histoire entre la Magie et les Sciences. Mais cette chose au milieu de la pièce qui témoigne de l'apparition de ces dernières... Elle me paraît difforme, anormale. Contre-nature.

-Les explorateurs ont gardé le secret, ne le répétant qu'à des cercles restreints et empreints de pouvoir. La présence de cette source était une anomalie que personne ne savait expliquer. Il n'y en avait pas d'autres connues sur le Continent. Pendant que les Sciences noires se développaient, la Source croissait. Lentement, comme un petit animal. Et puis un jour, l'un des premiers explorateurs rêva. Nul ne connaît la teneur exacte du songe, mais deux siècles plus tard après 200 ans de travaux pénibles et difficiles, la dernière pierre fut posée à Berbridge.

-L'Académie est construite sur une source de magie?

Je grimace. Moi qui pensais mes capacités plus étendues depuis mon arrivée. C'était donc seulement la Source.

-Elle y puise sa force. Comme les centaines d'élèves qui s'y sont succédé au fil des années. C'est ainsi que s'est construite l'élite du pays.

Naël se rapproche de la lumière, la main toujours dans celle de Loïs qui ne semble pas vouloir le lâcher.

-Quel rapport avec Elise? Pourquoi Maia l'a vu mourir dans cette tour ?

Hyacinthe grimace, et détourne la tête.

-La source est perturbée.

-Le principe même de cette...chose est perturbant, réplique Naël, impatient.

-Elle s'agite. Elle a faim. Quelqu'un lui a promis de la libérer. Et maintenant elle réclame son dû.

Je me sens chanceler. J'espère vraiment que le repas dont il est question ce n'est pas moi.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant