22ème fragment : Naël

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XXXIII- N'est pas enquêteur qui veut

Quand j'étais petit, je rêvais d'être policier, ou gendarme. Quand je me suis rendu compte du travail que ça nécessitait, j'ai vite changé d'avis pour médecin. Et puis quand je me suis rendu compte du travail que ça nécessitait... Vous connaissez la suite... Encore un rêve avorté.

Mais au moins la blouse que je porte aujourd'hui me donne presque l'illusion d'être un scientifique accompli. Nous avons un cours de chimie sur les bloquants et stimulants empathiques. Lorsque j'entre dans la classe, je m'arrête pour évaluer un peu la situation. Nous sommes 15 aujourd'hui. Ca veut dire qu'il y a donc deux élèves malades. Encore.

J'ignore le groupe de filles qui papote au premier rang et m'installe à côté de Timothée, un élève studieux dont les lunettes en forme de demi-lune sont bien la seule touche d'originalité. Si je l'ai choisi en premier pour mon interrogatoire, c'est que sous son air sérieux, c'est une vrai commère. Ce qui est un combo fatal avec le fait d'être un empathe. Je n'aimerais pas faire partie de ses ennemis une fois sur le monde du travail.

-Salut Tim. Dis moi, tu ressens encore les effets du sevrage, toi?

Il me regarde, les sourcils haussés. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir, c'est la première fois que je lui adresse la parole depuis le début de l'année. Mais bon, on a partagé nos pensées comme chaque empathe, donc on est presque amis, non?

-Viens-en aux faits, Naël, nul besoin de tourner autour du pot. On sait très bien ce que tu as en tête.

Je soupire en songeant à mes rêves d'enquêteur spécialisé.

-Est-ce que tu sais s'il y a des fantômes qui hantent la tour du pensionnat?

-Pourquoi tu ne demandes pas à ta cousine? S'il y a bien des gens qui doivent le savoir, ce sont ses camarades de jeu, non?

Bon point, sauf qu'Elise n'a pas vraiment envie d'ébruiter la chose parmi les autres communiquants. Si c'est son obsession du moment, elle a le droit de ne pas vouloir la partager. Moi-même je déteste partager.

-Ce n'est pas la question, Timothée.

Voyant bien que je ne compte pas le lâcher tant que je n'aurais pas obtenu ce que je veux, il se recule dans son siège et croise les bras.

-Les rares esprits qui se rendent visibles à la tour ne restent pas bien longtemps. Le fait qu'elle soit habitée par une flopée de médiums prêts à tout pour les aider - ou les empêcher de nuire- ne rend pas les lieux vraiment propices à la prolifération, contrairement à ce que pourrait penser un esprit naïf. Exception faite des esprits des anciens domestiques. Il y en a deux trois qui n'ont jamais voulu quitter les lieux.

-Donc si je comprends bien, pas de fantômes d'élèves?

Timothée me regarde avec un mépris mal dissimulé.

-Tu te crois où Naël, dans un mauvais roman d'enquête? Les élèves ne meurent pas à Berbridge. Ce sont des rumeurs de normés ça.

-Et comment pourrais- tu le savoir? Tu imagines bien que personne ne nous le dirait si c'était le cas, intervient Olivia, une élève du premier rang.

-Mais vous êtes bêtes ou quoi? C'est impossible d'avoir un secret dans cette foutue école. Entre les empathes, les rêveurs, les clairvoyants et les voyageurs, vous pensez vraiment qu'un élève mort ça échapperait à qui que ce soit? s'en mêle mon camarade Bruno en s'asseyant près de moi.

Au moins à ce niveau, il n'a pas tort. Si quelqu'un voulait dissimuler quelque chose ici, il serait sacrément doué.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant