41ème fragment : Naël, le choc

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LXIII - Haut le coeur

Tomber amoureux c'est franchement pénible. J'ai passé longtemps à me convaincre que ce n'était pas pour moi. Force m'est de constater que je ne contrôle ni mon esprit, ni mes hormones. C'est la raison pour laquelle les deux s'emballent dès que je reste trop longtemps près de Loïs.

Ces derniers jours, j'ai l'impression de vivre dans un brouillard un peu cotonneux. Je me sens lourd et niais comme un personnage romantique.

L'inaction me rend paresseux, et je ne pense qu'aux longs cils du jumeau Coste. J'aimerais les sentir me caresser la joue.

-Est ce que tu peux arrêter d'avoir des pensées salaces s'il te plaît? Me lance Timothée en me jetant un regard de dégoût.

Je grimace, et m'efforce de penser à autre chose. Les cours m'ennuient. Je n'ai pas envie de rester à écouter pendant des heures les théories des sentiments et les bases de psychologie.

Quand la cloche sonne la fin des cours, je rejoins les autres dans la salle commune de la Tour principale. Maia est allongée contre William qui lit un livre posé sur ses genoux. Elise s'entraîne au tarot avec Lucy. Et Loïs m'attend. Sitôt arrivé, nos yeux se croisent et des papillons se réveillent dans mon ventre. En miroir, je sens les siens s'agiter. L'écho de mes propres sentiments dans les siens me rend fébrile. Préférant faire comme si de rien n'était, je m'assois sur le fauteuil face à lui.

C'est la fin de l'après-midi. Même si le jour décline et qu'il faudra bientôt rentrer, il ne fait pas si froid. Les rayons du soleil s'infiltrent par les fenêtres et caressent le visage de Loïs.

Je m'apprête à briser le silence quand un cri brise la bulle de tranquillité dans laquelle nous reposons tous les six.

L'agitation se propage rapidement dans le foyer. Ce n'était pas un cri normal. C'était un son de bête brisée, déchirée, inhumain. Un frisson me parcourt et je chancelle en me levant. William me rattrape avant que je ne retombe aussi sec sur mon siège. Ma respiration s'accélère, je vois trouble. Du coin de l'œil j'aperçois d'autres empathes, dont Timothée, se plier en deux. Eux aussi le sentent. La terreur; l'effroi poisseux et collant qui accompagne cette voix. Des larmes se pressent contre mes paupières. Une douleur intense me vrille les tympans et le crâne.

Je me mets à sentir avec une fragilité exacerbée la moindre pensée de cette pièce, le moindre souffle, je perds le nord, je perds pieds, je ne sais plus lequel je suis, qui je suis, quels sentiments, lesquels sont à moi et...

Une gifle me projette en arrière. C'est Elise, les yeux écarquillés, le souffle court. Elle même semble surprise par son geste. La douleur cuisante sur ma joue me permet de reprendre pied petit à petit. J'aspire de l'air à grande bouffée, la gorge douloureuse, soudain conscient d'avoir crié moi aussi.

-Naël! Tout va bien?

Je hoche la tête pour les rassurer. Autour de nous, les autres empathes se rassemblent, déboussolés. C'est comme si nous avions été coincés, l'espace d'un instant, dans une boucle de douleur et d'épouvante, une force nous contraignant à sentir, ressentir, et nous alimenter les uns les autres.

William m'aide à me tenir debout, mais finit par passer le relai à Loïs.

Je suis sonné, incapable d'expliquer aux autres, les non empathes. Ma bouche est sèche, j'essaie de parler.

Un élève surgit dans la salle commune. Il est blanc comme un linge.

-Quelqu'un est mort! La...L'infirmière...

Je me penche et vomit mon déjeuner par terre.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant