32ème fragment : Naël

11 3 1
                                    

XLVIII - L'amertume de la bière

-Tu veux prendre un verre avec moi?

La question de Loïs me sort de la torpeur de fin d'après-midi alors qu'un rare rayon de soleil enveloppait la base de ma nuque, me plongeant dans une chaleur agréable. Devant nous, plusieurs livres ouverts témoignent de nos recherches infructueuses. Loïs lui-même semble dépité. Si ses dons ne nous ont mené à rien aujourd'hui, ce n'est plus la peine d'insister. Je regarde la porte de la bibliothèque comme une friandise particulièrement alléchante.

-Par pitié oui, tout sauf rester ici une minute de plus.

Mon ton mélodramatique le fait rire. Je l'aide à ranger les livres et nous quittons l'Académie. Elise a un cours tardif aujourd'hui, l'étude des astres ou quelque chose de cet ordre. Je n'ai donc pas de scrupule à la laisser derrière moi, surtout si je peux grappiller encore un peu des rayons du soleil. Il ne m'a jamais paru aussi éclatant, alors même que la pluie tombait à verse ce matin.

Nous prenons la route tranquillement. Loïs marche à mes côtés depuis quelques minutes, silencieux. Ses pensées le sont un peu moins en revanche. Il pense à sa sœur, à ses devoirs, au café du bourg de Berbridge où nous nous rendons, leurs chocolats chauds...Et moi. Pour ne pas le laisser continuer sur cette pente glissante, je déterre une pensée un peu plus enfouie captée un peu plus tôt dans la journée.

-Alors comme ça, les membres de l'équipe de Rug sont à ton goût?

Il s'arrête, surpris, vaguement honteux.

-Ce n'est pas... C'est pas du tout ce que j'ai pensé!

-Je te taquine... Mais tu as pensé à les rejoindre, ça tu ne peux pas le nier.

-Peut-être. Disons que William n'a pas tout à fait tort.

Il ralentit à l'entrée du bourg et me désigne le café auquel il avait pensé. Nous nous installons à la terrasse remplie par plusieurs élèves venus profiter du soleil.

-Je ne suis pas sûr de te suivre sur cette affirmation.

-Les clairvoyants ont des atouts pour le Rug. Les trajectoires de balles, les plans, la visualisation... Ça nous donne des avantages. J'en ai fait tout le lycée. Tu ne connais pas Arnold Barrel?

-Le joueur de l'équipe nationale?

-Il a débuté à Berbridge. L'équipement sportif et les enseignants y sont bons. Et j'ai besoin de me dépenser.

-Moi qui pensait que ton corps de rêve était un don de la nature... Je suis un peu déçu...

Il rougit et alpague le serveur pour commander deux bières et éviter de rebondir sur ma provocation. Il est vraiment très mignon. Tellement que j'en oublierais presque ma nervosité du repas de midi. Comme si c'était lui qui pouvait décrypter les pensées, il se retourne vers moi.

-La présence de William ne te dérange pas?

Je grimace, sur la défensive.

-Pourquoi elle me dérangerait? On est dans un pays libre.

-Tu sais très bien ce que je veux dire...

-Le fait que l'on se soit tourné autour pendant 5 minutes durant une soirée ne veut rien dire, Loïs. Vraiment, je n'ai aucun souci avec le fait que lui et Maia... Fassent ce qu'ils veulent ensemble. Vraiment.

C'est presque vrai. Je n'ai aucun souci avec le fait de côtoyer mes anciens plans cul, ni même mes plans cul avortés. Le problème est ailleurs. Je ne lui fais toujours pas confiance, pour une raison que je ne m'explique pas. Mais ça je me suis bien gardé d'en parler à d'autres personnes qu'Elise, qui pense elle aussi que je suis simplement amer. Mes amis ont une bien piètre opinion de moi.

Loïs semble tout de même rassuré.

-Bon. Parce que j'imagine qu'il sera aussi à la soirée de samedi. Alors soit gentil avec lui et Maia.

Je lève les yeux au ciel.

-Je suis toujours gentil... Enfin... Presque.


XLIX-Provocation

Pour une raison que je ne m'explique pas, Elise tient à m'accompagner à la soirée du samedi soir. Sans même que j'ai eu besoin d'évoquer le sujet où même de la menacer, elle était prête avant moi.

Et pourtant, maintenant que nous sommes tous réunis devant la tour pour accompagner les fumeurs, c'est-à-dire William, Lucy et moi, je la trouve bizarrement tendue. Elle m'évite depuis hier, comme s'il était physiquement possible de me cacher quelque chose. L'odeur de la cigarette lui fait plisser le nez quand je me penche vers elle pour parler à son oreille.

-Quoi que tu essaies de cacher, je sais que ça a un rapport avec ton satané fantôme.

Elle sursaute et me fusille du regard. Je lui souris de toutes mes dents.

-Si tu as besoin de l'aide de ton cousin préféré.

-Non merci. Je reviendrais vers toi quand j'en saurais plus.

Un peu vexé par son attitude, je recule.

-Oh, vraiment? Eh bien amuses toi bien alors. Je serais à ton service quand tu auras besoin de moi, tel un chien fidèle, je marmonne avant de m'éloigner pour retourner à l'intérieur.

Ce brusque mouvement d'humeur la surprend autant que moi, mais la fierté m'empêche de m'excuser. Il y a beaucoup moins de premières années que lors de la fête précédente, et je me sens presque petit comparé à certains élèves. Je me fraie un chemin jusqu'à la table qui tient lieu de bar et me sers un grand verre. Après tout, si Elise veut jouer aux enquêtrices du paranormal, je ne peux pas l'en empêcher. Mais j'aimerais bien que mes recherches soient un peu plus fructueuses pour pouvoir la protéger. De ce fantôme, ou d'autre chose.

-Eh bien, l'entente n'est pas toujours au beau fixe chez les Lecendre à ce que je vois?

William Field me prend mon verre des mains et en boit une gorgée sans me quitter des yeux. Son attitude provocatrice ne me plaît pas.

De un, c'est quoi son problème?

De deux, c'est moi le provocateur du groupe.

-Rien qui ne te regarde Field. Contente toi de filer le parfait amour avec miss rêveuse.

Il éclate de rire, pas vexé pour un sous.

-Tu ne serais pas un peu jaloux? Pourtant, si je me souviens bien, c'est toi qui m'a rejeté l'autre soir.

J'hésite sur l'attitude à adopter. Je ne peux décemment pas lui indiquer qu'il me foutais la chaire de poule et que je voulais juste m'enfuir. Pas très diplomate.

-Je ne suis pas jaloux. J'ai juste... Senti que ça ne collerait pas. Tu sais, privilège d'empathes. On ne fait perdre de temps à personne.

Il hoche la tête et me rend mon verre.

-En tout cas essaie d'être un peu plus sympa avec Maia. Elle ne comprend pas ce qu'elle a fait de mal pour que tu te comportes comme un con comme ça.

Je manque m'étouffer d'indignation. Avant d'avoir pu répliquer, William me plante et se replonge dans la foule.


Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant