33ème fragment : Elise, Hyacinthe

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L- Trouver porte close

Je plonge mes mains glacées dans les poches de mon pantalon dans une tentative désespérée de les réchauffer. La toile est trop légère. Je me suis éloignée de la fête après l'altercation avec Naël. Je m'en veux de lui cacher des choses pour le moment, mais je ne sais pas encore à quel point ce que Hyacinthe veut me montrer est dangereux. Mes bottines font craquer les graviers de la cour centrale.

Je m'arrête quand j'estime avoir mis suffisamment de distance entre la soirée et moi. J'ai à peine le temps de m'asseoir sur un banc de pierre que je ressens l'habituel frisson du corps et de l'esprit qui accompagne chacune de ses arrivées. Mes trois esprits se tiennent à distance, méfiants, mais respectueux de mes décisions.

-Tu es très jolie ce soir, constate Hyacinthe en me regardant de la tête aux pieds.

Je grimace en jetant un regard à ma tenue. Maia a insisté pour m'habiller et j'ai dû me prêter au jeu de la poupée pendant des minutes qui ressemblaient à une éternité. La chemise qu'elle m'a prêté est un poil trop transparente à mon goût, et son pantalon un peu trop cintré, mais je dois reconnaître que je ressemble à une vraie étudiante. Sûre d'elle, sexy, la totale.

-J'étais bien obligé de me prêter aux exigences de Maïa, je crois qu'elle ne m'aurait pas laissé aller à la fête avec les mêmes habits que d'habitude.

-Les habits habituels te vont bien aussi. Tu es toujours jolie Elise.

Je rougis, me rengorge et remonte mes lunettes sur mon nez pour me redonner consistance.

-Hum... Où allons-nous?

Elle perd son sourire et s'écarte pour me désigner l'objet de notre destination. Un frisson désagréable s'élance de mes épaules pour dégringoler dans mon dos.

-La tour Nord ?

-Tu ne risques rien ce soir, je t'en fais la promesse.

Elle me tend la main, et l'espace d'un instant, j'ai l'impression que je pourrais la saisir. Elle se fige, prenant conscience de l'incongruité de son geste et s'éloigne rapidement vers la tour. Elle glisse avec une fluidité qui me rappelle les patineurs du lac de Clerserrat en hiver. A t-elle seulement eu l'occasion de se joindre à eux avant son décès?

Elle s'arrête devant la porte et me regarde. Je prends la poignée, m'attendant à trouver la porte verrouillée. Mais il n'en est rien et elle s'ouvre dans un grincement sinistre.

A part l'intendance et l'infirmerie, j'ignore ce que cette tour contient, ou a contenu. Les pensionnaires de l'Académie le savent sûrement mieux que moi.

Je m'apprête à allumer la lumière, mais Hyacinthe me fait non de la tête. Je comprends immédiatement. Elle diffuse une légère lumière qui me suffit à observer les lieux sans difficulté. Toujours en silence, elle continue son avancée, et je la suit, les trois esprits luisant comme des feux-follets à mes côtés.

Le mélange de couloir et de détour de cette tour n'a rien à envier à ceux des autres parties du château. C'est à croire que l'architecte avait pour volonté de perdre ses élèves dans les méandres de pierre.

Techniquement, c'est impossible de perdre un Clairvoyant, donc ce serait un objectif voué à l'échec...

Je suis sûre que certains sont quand même capables de se perdre

Ils n'ont qu'à dessiner une carte ou des plans.

Hyacinthe s'arrête devant l'infirmerie dont la porte est grande ouverte. A cette heure, l'infirmière de garde est dans ses appartements, un étage au-dessus. Je prends tout de même garde à ne pas faire de bruit en me glissant dans la pièce chargée de mobilier, lits, étagère et armoires remplies de breuvages. On dirait la version apothicaire du bureau de Mulberry, comme si le désordre était une vertu nécessaire pour travailler ici. Les rideaux autour des lits défaits ont l'air de spectres prêts à m'avaler, soulevés par le passage de Hyacinthe.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant